Bars et restos sont à bout

De nombreux établissements genevois peinent à boucler les fins de mois. Les patrons pointent les remboursements des prêts Covid et l’obligation de fermer les terrasses à minuit. Ils demandent davantage de considération de la part des autorités.

  • En colère, les restaurateurs vont interpeller les autorités pour leur demander de l’aide. TR

    En colère, les restaurateurs vont interpeller les autorités pour leur demander de l’aide. TR

«On va finir par devoir tous fermer», lance Teng Yi Fang, propriétaire du restaurant chinois Baoti, près de la gare Cornavin. Réunie avec plusieurs restaurateurs mécontents, elle ne décolère pas. «Nous sommes déconsidérés malgré notre rôle essentiel. Pourquoi nous met-on des bâtons dans les roues?» A ses côtés, la présidente de la Fédération des bars, Helen Calle-Lin renchérit. «Depuis la pandémie, la majorité des établissements sont en difficulté. On ne nous aide pas, tout en nous mettant sous pression, par exemple avec l’obligation de fermer nos terrasses à minuit en semaine.» D’où sa décision d’adresser un courrier, en préparation, à la magistrate chargée de l’Economie et de l’Emploi, Fabienne Fischer, afin de demander du soutien.

Moins 20 à 25%

Selon les établissements, la fermeture anticipée des terrasses (lire encadré) représenterait une perte de 20 à 25% du chiffre d’affaires. C’est notamment le cas de Pascal, gérant du Radar de Poche, cocktail bar en Vieille-Ville: «Chez nous, les clients consommaient beaucoup à 23h. Avec cette décision, on nous étrangle encore un peu plus.» D’après lui, la mesure serait d’ailleurs inefficace. «Nos établissements permettent de canaliser les fêtards. Dès le changement d’heure imposé, les nuisances se sont reportées ailleurs, gênant parfois encore plus les riverains. Nos politiques semblent rêver d’une ville morte. Et ça les arrange bien dans les urnes, puisque nombre de jeunes qui fréquentent nos établissements ne votent pas, contrairement aux personnes âgées.» Enfin, les restaurateurs estiment qu’il est injuste de pénaliser toute une ville pour quelques cas particuliers. «La plupart d’entre nous n’ont jamais eu de plainte», résume Helen Calle-Lin.

Aides Covid insuffisantes

Un sentiment d’injustice renforcé par la pandémie de Covid et ses conséquences encore bien présentes aujourd’hui. Pour les patrons, les aides ont été insuffisantes. «Nous avons été obligés de fermer quasiment un an. Pour certains restos, comme le mien, cela représente près de deux millions de pertes. Alors que Berne a décidé qu’il fallait aider les cantons, Genève n’a quasiment rien fait, témoigne la présidente de la Fédération des bars. La seule chose qui a fonctionné, ce sont les prêts Covid, que nous devons désormais rembourser sans avoir encore sorti la tête de l’eau. Aujourd’hui, toutes les entreprises sont dans la m...»

Pour certaines, ces prêts se révèlent être des cadeaux empoisonnés. «Dès le mois de mars, on peut légalement nous prélever la somme directement sur notre compte. Cela fait des mois que je survis», se lamente un patron préférant rester anonyme, qui accumule les poursuites.

Parfois, la réalité est encore plus révoltante. C’est par exemple le cas au Baoti, qui a ouvert ses portes un mois avant le premier confinement. «Au moment de calculer la somme à laquelle on avait droit, je n’avais qu’un mois de chiffre d’affaires. On ne m’a donné aucune aide. On a l’impression d’être des vilains petits canards, qu’on étouffe avec une administration toujours plus lourde», déplore la patronne.

«Qu’on nous laisse travailler!»

Même son de cloche à l’Eléphant dans la Canette, à Plainpalais. «J’aimerais qu’on nous foute la paix. On vient me rappeler à l’ordre pour des histoires insignifiantes, comme quand on me dit que les ardoises où j’écris mes menus sont trop grandes. C’est absurde», raconte Yoan Lomet, le propriétaire. Il dénonce des règles trop strictes et trop nombreuses. «On nous taxe dans tous les sens, on nous contrôle. Qu’on nous laisse travailler!»

Un avis partagé en partie par Laurent Terlinchamp, président de la Société des cafetiers, restaurateurs et hôteliers de Genève (SCRHG). «Je comprends leur détresse, ces gens méritent tout mon respect. Les patrons n’ont pas choisi de fermer et on leur impose cette situation. Le Covid est un fléau avec lequel on n’a pas terminé», insiste-t-il. Sa solution: «Il faut qu’on nous aide à pouvoir étaler les remboursements des prêts Covid.»

Concernant les horaires des terrasses, la SCRHG se montre plus nuancée. «La fermeture à minuit est de nature à déplaire mais il faut aussi concevoir qu’une partie de la population aspire au calme. Après un an, il serait temps de faire le point», estime Laurent Terlinchamp. Selon lui, un travail doit être fait avec les habitants dérangés par le bruit. «Quand on donne l’autorisation pour créer un commerce, tel un bar, il faudrait contraindre l’immeuble à se mettre en conformité. Par exemple en termes d’isolation», juge-t-il.

146 millions de francs

Interpellées par les restaurateurs, les autorités cantonales se défendent. «Nous prenons très au sérieux la situation difficile traversée par certains restaurateurs durant la période Covid. Après les avoir rencontrés à un rythme hebdomadaire puis mensuel au plus fort de la crise sanitaire, j’entretiens aujourd’hui le dialogue par des rencontres régulières pour rester en lien avec le terrain», détaille la conseillère d’Etat Fabienne Fischer.

Le Canton précise qu’il a versé plus d’un demi-milliard de francs d’aide à fonds perdu aux entreprises genevoises, dont 146 millions pour le secteur de la restauration qui a été le plus indemnisé. «Il sied également de rappeler que Genève a élargi le périmètre des bénéficiaires en incluant les entreprises ayant subi un recul de chiffre d’affaires d’au moins 25%, alors que les dispositions fédérales avaient fixé ce seuil à 40%», ajoutent les autorités.

Enfin, le département rappelle que les cantons ne sont pas impliqués dans les prêts Covid et leur remboursement, ceux-ci ayant été distribués directement par les banques et surveillés par la Confédération.

«C’est déjà le fruit d’un compromis»

TR • Concernant la fermeture des terrasses à minuit en semaine, la Ville se montre inflexible. «Le Conseil administratif n’envisage pas de revenir sur sa décision qui est déjà le fruit d’un compromis, puisque les riverains souhaitaient des horaires encore plus restrictifs», souligne la maire, Marie Barbey-Chappuis. La municipalité rappelle que la règle actuelle reste plus permissive à Genève que dans d’autres villes, comme Carouge, Lausanne ou Zurich. Dans ce dernier cas, les terrasses doivent fermer à 22h dans les zones habitées, y compris le week-end.

Pour la magistrate, la tranquillité des riverains prime sur le besoin d’animer la ville. «En semaine, les habitants travaillent le matin et les enfants vont à l’école. Les bars, eux, restent ouverts à l’intérieur pour les clients qui veulent poursuivre leur soirée après minuit», conclut-elle.