Exergue
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Popularisée notamment par Chat GPT et sa batterie de clones, l’intelligence artificielle (IA) pourrait signer la mise à mort d’un nombre incalculable de professions. Si les experts se perdent en conjectures sur le sujet, cette nouvelle révolution économico-technologique semble bel et bien en marche.
Le Genevois Michel Levin en a fait les frais. Traducteur indépendant depuis trente ans, le voilà obligé de bifurquer vers d’autres métiers. «J’avais constitué un bureau regroupant une douzaine de traducteurs indépendants. Je les sollicitais selon leurs compétences linguistiques et techniques pour répondre à la demande d’études d’avocats ou d’architectes, d’agences de pub, de gouvernements cantonaux et de sociétés d’assurances», explique-t-il.
En 2008, la crise financière, suivie par une utilisation intensive des outils de traduction en ligne, fait chuter son chiffre d’affaires. «Progressivement, les clients ne nous mandataient plus que pour une révision des traductions automatiques», confie Michel Levin. Pressentant la menace face à l’emballement technologique, il a donc suivi une formation de professeur de yoga et de masseur. Il n’est pas le seul à avoir changé son fusil d’épaule. Caroline, une de ses collègues, enseigne depuis peu les vertus des herbes sauvages.
Plus étonnant, une plateforme baptisée Opensynaps censée remplacer un psychologue a été lancée mi-mai en Suisse romande.
La ruée vers… Chat GPT
Titulaire de la chaire d’intelligence artificielle à l’Université de Genève (UNIGE), le professeur d’informatique, François Fleuret, est persuadé que l’IA va promptement occuper du terrain sur le marché du travail. En atteste la rapidité avec laquelle l’outil s’est intégré dans notre quotidien.
«En quelques semaines, en dépit de son statut expérimental et en l’absence de la moindre garantie, Chat GPT est devenu omniprésent. Chacun s’est rué sur l’outil non pas pour le tester mais pour en faire un usage réel. Même les plus rétifs à la technologie se sont laissés convaincre.»
La nouvelle version, opérationnelle depuis quelques semaines, ouvre, il est vrai, un champ incroyable de possibilités. En deux temps trois mouvements, elle permet notamment de rédiger des lettres de licenciement ou d’embauche, d’établir des contrats juridiquement fiables à 80%, de rédiger des newsletters commerciales, de créer des sites Internet. Mais encore? «Copilot, entraîné avec les codes sources offre une aide précieuse aux programmeurs», détaille l’universitaire.
Toutes les professions qui requièrent des compétences d’écriture, de mise en forme des textes, sont peu ou prou impactées. «Les équipes de rédacteurs, illustrateurs, traducteurs seront sans doute réduites à la portion congrue. Car des assistants du type de Chat GPT vont se multiplier et considérablement augmenter la productivité en prenant en charge toutes les tâches qui ne sont pas créatives et de haut niveau», ajoute François Fleuret.
Malédiction ou bénédiction?
Contre toute attente et selon le professeur, certains métiers d’enquête et d’écriture, comme le journalisme, vont entrer, quant à eux dans leur âge d’or. L’IA, apte à générer des informations et des images plus vraies que nature, va ainsi redonner à ces professionnels leur rôle historique de sources de confiance. Alors malédiction ou bénédiction? La balance penche alternativement des deux côtés. L’IA pourrait devenir un assistant personnel absorbant des tâches rébarbatives et dans le même temps gommer du paysage économique des corps de métier impossibles à réorienter.