Des «bombes roulantes» (moins) explosives

Une nuit par semaine, un train chargé de chlore circule entre Genève, Lausanne et Viège. En cas d’accident, un wagon de ce gaz tuerait jusqu’à 30% des gens dans un rayon de 2,5 km. Les CFF ont mis beaucoup de choses en œuvre pour réduire ce risque ces dernières années.

  • Ces wagons disposent d’une double épaisseur de paroi, d’amortisseurs, d’un dispositif anti-chevauchement et de tampons anti-crash. ZVG

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Si vous habitez sur la ligne CFF Genève – Lausanne – Viège et que vous souhaitez continuer à dormir paisiblement, mieux vaut ne pas lire cet article… Chaque nuit, des convois dits de «fret dangereux» traversent cette région lémanique. A l’intérieur divers produits chimiques: des hydrocarbures liquides, des hydrocarbures gazeux et des toxiques tels que le redouté et redoutable chlore. En 2021, 12'415 tonnes de ce gaz toxique ont circulé dans des «trains-entiers» entre Genève et Viège (VS) en passant par Lausanne, explique-t-on du côté de l’Office fédéral des transports. Mais ce, au rythme d’un par semaine contre un par nuit voici une poignée d’années seulement.

Fatal à 1,6 km à la ronde

Si un de ces 198 wagons sécurisés de 120 m3 et 63 tonnes venait à dérailler et à se vider de son contenu, les spécialistes du bureau d'étude Securetude estiment que toutes les personnes se trouvant dans un rayon de 1610 m aux alentours risqueraient une intoxication fatale. Même celles se trouvant à l'intérieur d’un bâtiment pourraient être touchées. Le 99% des gens se trouvant à l’extérieur à moins de 300 m de l’accident décéderaient en respirant les vapeurs de chlore. «Tout comme environ 30% de ceux qui seraient dans un rayon de 2500m de ‘‘l’épicentre’’», rappelle Pascal Stofer, chef du secteur accidents majeurs pour le canton de Genève. Un cauchemar!

Les Verts, genevois notamment, aimeraient de longue date faire interdire ces convois. Le hic, c’est que le chlore est utilisé pour confectionner de nombreux produits courants à l’instar des plastiques, des produits phytosanitaires ou des produits de nettoyage. Pour la plupart en provenance des régions lyonnaises et grenobloises, ils sont à destination des usines chimiques valaisannes de Lonza à Viège et de Syngenta de Monthey. Lesquelles importent leur chlore de France (et dans une moindre mesure et plus récemment d’Italie) pour des raisons de coût alors qu’il était produit localement jusque dans les années 2000.

Sécurité maximisée

Accordons aux CFF, qui ne peuvent interdire ce genre de convoi, qu’ils ont beaucoup mis en œuvre pour en réduire leur dangerosité ces dernières années. «La généralisation de la limitation de vitesse à 40 km/h en 2018 a permis de diviser les risques par 10 et l’utilisation de wagons par 5», résume Frédéric Revaz, porte-parole de l’ex-régie fédérale.

Ces wagons disposent d’une double épaisseur de paroi, d’amortisseurs, d’un dispositif anti-chevauchement et de tampons anti-crash. Les CFF ont aussi supprimé nombre d’obstacles situés le long des voies et susceptibles d’éventrer les wagon en cas de déraillement à l’instar de «rails-repères» verticaux devenus obsolètes.

Résultat: les risques ont été sensiblement diminués ces dernières années. Selon le dernier screening de l’Office fédéral des transports, en 2020, les risques étaient «acceptables» sur 97,3% du réseau ferré, dans le «domaine intermédiaire inférieur» sur 2,7% du réseau et dans le «domaine intermédiaire supérieur» sur moins de 0,1%, soit sur 1,8 kilomètre. «A Genève, Renens et Lausanne, 6 kilomètres de tronçons se situent encore dans ce que Berne appelle les risques “intermédiaires supérieurs”. L’objectif d’ici 2025 est de se rapprocher au maximum du niveau dit acceptable», rappelle Pascal Stofer.

Des précédents inquiétants

LG • Le 29 juin 1994, une erreur d’aiguillage faisait dérailler un convoi en gare de Lausanne et deux wagons laissaient échapper quelques centaines de litres de méthylate de sodium, de chlorure de thionyle et surtout d’épichlorohydrine hautement inflammable.

Rebelote le 25 avril 2015 à Daillens (VD) où cinq wagons s’étaient couchés à la suite d’un déraillement. Quelque 25 tonnes d’acide sulfurique s’étaient alors écoulées au sol. Fin juin 2017, une évaluation du Conseil fédéral avançait toutefois que le transport de marchandises dangereuses ne présentait pas de risque accru pour la population.

Selon les calculs de la Confédération, il y aurait même moins d’une chance sur 1,5 million par an qu’un accident avec du chlore – de très loin le produit le plus redoutable mais aussi donc le mieux sécurisé – se produise entre Genève, Lausanne et Viège. Ouf!