Deux réfugiées ukrainiennes à Genève racontent l’enfer

TÉMOIGNAGE • Fuyant le conflit en Ukraine, Elena et Natalia sont arrivées à Genève le 11 avril dernier et ont obtenu le statut de protection S. Rescapées d’un camp de détention russe, elles militent activement pour la paix dans leur pays et livrent un témoignage de leur captivité.

  • Très engagées pour la paix en Ukraine, Elena et Natalia prennent une part active dans toutes les manifestations. DR

    Très engagées pour la paix en Ukraine, Elena et Natalia prennent une part active dans toutes les manifestations. DR

Hébergées dans une famille d’accueil à Russin, Elena et Natalia, deux amies de longue date, ont choisi le canton de Genève afin de rejoindre le fils de Natalia, étudiant à l’Université depuis un an. Très engagées pour la paix en Ukraine, elles prennent une part active dans les manifestations organisées à travers la Suisse et ont hâte de rentrer retrouver, un jour, leurs proches. En attendant, elles tentent, ensemble, de surmonter leurs traumatismes. Récit.

«On ne peut pas dire que nous étions des prisonniers de guerre puisque nous étions tous des civils», commence Natalia, les yeux brillants. Avant le début de la guerre, Elena et Natalia vivaient à Kiev avec leurs maris respectifs. Fuyant les bombardements de leur ville, les deux couples se sont réfugiés dans la région de Vyshgorodskiy, à 70 km au nord de Kiev.

«Le 18 mars, six blindés ont encerclé la maison. Des militaires cagoulés confisquent alors nos passeports et téléphones et volent toutes nos économies. Les hommes sont fouillés et laissés dehors sans vestes durant deux heures, alors que la température était proche de zéro», raconte Elena, la voix tremblante.

Entassés à 40 dans une pièce de 30 m2

Tous sont embarqués pour un «interrogatoire». Mais les voitures s’arrêtent quand, soudain, une série de coups de feu retentit. Aveuglées par le bandeau qui leur masque le visage, les deux femmes sont convaincues que leurs époux viennent d’être exécutés. Elles comprendront par la suite qu’il s’agissait d’une mise en scène et, qu’en réalité, leurs maris sont vivants.

A Dymer, ville occupée située à 40 km au nord de Kiev, les prisonniers sont ensuite entassés à 40 dans une pièce de 30 m2 au sol en béton, sans fenêtre ni aération. Ils reçoivent de la nourriture une fois par jour, de la bouillie dans un seau avec une cuillère pour tous, et de l’eau dans un bidon encrassé, percé d’une paille. Nuits et jours se succèdent, ainsi enfermés dans le noir, les yeux bandés, au son des gémissements des personnes blessées lors des interrogatoires. «Chaque minute a duré une éternité. Se savoir esclave à la merci de ses agresseurs, avec droit de vie ou de mort sur nous, était insoutenable», poursuit Natalia.

Face aux militaires, les prisonniers subissent à tour de rôle des interrogatoires agrémentés d’humiliations et de menaces d’exécution. Téléphones, tablettes et documents confisqués sont minutieusement examinés et les informations ainsi recueillies servent à poser des questions aussi inquisitrices que ridicules «Ah! Ta fille vit aux Etats-Unis? Elle fait donc de l’espionnage? C’est une espionne américaine? Tu vends donc des armes?»

Natalia s’entend dire que son mari est blessé et que sa survie dépend de ses réponses. «Je m’efforçais de leur faire comprendre que nous étions quatre civils n’ayant commis aucun crime», témoigne-t-elle.

Libérées après cinq jours

Le 22 mars enfin, après cinq jours d’une interminable détention, les militaires russes décident de les libérer non sans leur faire signer un document stipulant leur collaboration avec l’armée russe, qu’ils menacent de publier sur les réseaux sociaux. Vers 17h, Elena, Natalia et leurs maris respectifs sont enfin relâchés.

Réfugiées à Genève depuis le 11 avril – leurs maris n’ont pas voulu quitter l’Ukraine –, les deux femmes ignorent toujours la raison de leur captivité, qui, pour elles, reste tout aussi infondée que la guerre elle-même. Leur détention fait désormais l’objet d’une enquête de l’ONG Human Rights Watch. 

Une Genevoise coud des doudous pour les Ukrainiens

TR • «J’aime faire des choses avec mes mains, comme ces doudous. Mais mes petits enfants en ont assez et il faut bien les donner à quelqu’un», s’amuse Annie Pillard-Salzani, retraitée au grand cœur. A l’appel de la Caravane sans frontières, elle a réalisé une cinquantaine de peluches distribuées aux enfants ukrainiens réfugiés à Genève. Un deuxième carton est actuellement en préparation. «J’y consacre deux à trois jours par semaine», précise cette passionnée de couture. Autre motivation: venir en aide à des personnes qui fuient la guerre. «Je suis sensible au conflit en Ukraine. On ne peut pas rester passif», estime Annie Pillard-Salzani. Un engagement salué par la Caravane sans frontières. «Cette dame nous a appelés elle-même. Nous la remercions du fond du cœur», témoigne sa présidente, Silvana Mastromatteo. «Tous ces petits gestes comptent. Notre association est une locomotive, mais l’action se fait directement grâce au donateur», affirme-t-elle.

Face au conflit, ailleurs aussi, les actions de solidarité se multiplient. A l’image de celle conduite par l’association des parents d’élèves de l’école de Trembley (APET) en faveur de familles ukrainiennes réfugiées. En tout près de 250 kilos de produits de première nécessité et d’habits ont été récoltés. Une initiative lancée en collaboration avec le corps enseignant et la direction de l’école par le vice-président de l’APET, Jacky Baulet, soucieux de pouvoir venir en aide à des personnes qui fuient la guerre. «On nous a beaucoup remerciés, signe que notre action était utile. Nous sommes prêts à nous remobiliser en cas de besoin», promet Jacky Baulet.