Ecriture inclusive: la contre-attaque s’organise

  • Une pétition en ligne a été lancée début août contre l’orthographe modifiée.
  • A Genève, une initiative visant à interdire l’écriture inclusive en Suisse sera lancée d’ici à la fin de l’année.
  • Son but: sauver le français académique et éviter de construire un nouvel idiome qui appauvrit la pensée et nivelle par le bas.

«Tant de citoyens en ont assez de charabia de mots imprononçables et illisibles»

Aurèle Challet, président de la section suisse de Défense de la langue française

«La langue française subit de violentes attaques ayant tout à voir avec la guerre idéologique et rien avec l’amour des mots!», s’indigne Aurèle Challet, président de la section suisse de Défense de la langue française (DLF). Dans son viseur: la conférence intercantonale de l’instruction publique de Suisse romande. En juin, celle-ci décrétait unilatéralement et sans aucune concertation, que dès 2023, une «orthographe rectifiée», appelée OR, serait utilisée pour faciliter l’apprentissage du français dans les écoles romandes.

L’organisation prônait au passage l’emploi de l’écriture épicène. «En parallèle de ce nivelage par le bas, l’écriture dite «inclusive», qui au final n’en finit pas de diviser avec ses anglicismes maquillés, ses néologismes effarants et ses illisibles et imprononçables points médians, gagne du terrain. Le tout en appauvrissant et déformant dangereusement la langue et donc la pensée, exactement comme dans 1984 d’Orwell», déplore le Jurassien Aurèle Challet.

Nombreux citoyens irrités

Et de regretter que nombre d’administrations l’appliquent déjà à l’instar de la Ville de Genève et de l’Etat de Vaud ou «de façon totalement arbitraire», note Aurèle Challet. Les journalistes du Courrier et de la RTS font de même depuis l’hiver passé. «Sans doute sont-ils persuadés d’être eux aussi du bon côté du progressisme», persifle-t-il.

«Pourtant, l’Académie française, seule institution légitime à fixer les canons de la langue de Molière, condamne l’écriture inclusive», rappelle Simone de Montmollin. La conseillère nationale PLR genevoise est cosignataire de la motion Le respect des règles de la langue française prime sur l’idéologie. «Si chaque région se met à décréter unilatéralement les évolutions du langage qu’elle juge nécessaires, c’est la cacophonie. La langue ne peut s’adapter à chaque situation personnelle. Cela souligne la différence de chacun plutôt que l’universel qui nous unit», analyse-t-elle.

Mais la résistance à cette réforme du langage s’organise. Une pétition en ligne a été lancée contre l’orthographe rectifiée. Cet automne, une initiative visant à interdire l’écriture inclusive en Suisse sera lancée à Genève par la section suisse de DLF. En parallèle, un livre blanc sur l’évolution de la langue française, écrit en collaboration avec des étudiants de l’Université de Genève (Unige), sera publié.

«Réunir 150’000 signatures, en dix-huit mois, ne devrait pas être trop difficile pour sauver le français académique et éviter de construire un nouvel idiome. Tant de citoyens en ont assez de ces manques de respect à notre langue par un charabia de mots imprononçables et illisibles, pour la culture française et qui n’aident en rien la cause des femmes contrairement à ce que prétendent sournoisement leurs promoteurs!» peste Aurèle Challet.

«Terrorisme intellectuel décomplexé»?

Pas dupe des visées sous-tendant ces changements souvent imposés d’en haut sans consultation, fin juin, la Chancellerie fédérale proscrivait l’utilisation des astérisques et des points médians. Sa décision avait suscité des accusations de «réveiller les gardiens du patriarcat». «Ces critiques relèvent d’un terrorisme intellectuel de plus en plus décomplexé», dénonce Aurèle Challet pour qui «ces volontés d’atrophier le français relèvent de la cancel culture et d’une dictature des minorités importées des Etats-Unis».

Reste que certains élus se voient gratifier d’adjectifs peu flatteurs en «phobe» et «iste» par leurs opposants pour tuer dans l’œuf tout débat. Ainsi, début septembre, le Conseil d’Etat valaisan interdisait d’utiliser l’écriture inclusive dans tous les textes de l’administration cantonale. Décision identique prise par Genève et le Jura dans la foulée...

Le vent de l’inclusion serait-il en train de tourner? «C’est possible mais il sera malheureusement difficile d’arrêter le train en marche car cette volonté de changer le réel par le langage, qui pourtant appartient au peuple, au nom d’une caricature de l’égalité, ne date pas d’hier et est redoutablement efficace», conclut pessimiste le conseiller national UDC genevois Yves Nidegger.

Un «gain de cohérence»

Stéphanie Pahud travaille à un ouvrage collectif sur l’écriture rectifiée. La linguiste de l’Université de Lausanne (UNIL) constate que «les 14 propositions pour la plupart mineures réveillent des réticences idéologiques ou affectives». La professionnelle rappelle que la langue évolue avec le temps et les usages. Elle ne valide «ni les fantasmes de simplification ni l’affolement face à ce qui serait un nivellement par le bas» que certains opposants de l’«orthographe rectifiée» dénoncent. La quadragénaire y voit plutôt un «gain en cohérence».

«Opportunité»

Pour ce qui est d’une écriture inclusive, sur laquelle ses collègues sont très partagés, la linguiste souligne «qu’elle poursuit un objectif louable et partagé par beaucoup sur le principe: celui de pouvoir communiquer sans laisser personne de côté».

Dans les faits, elle constate que sa mise en œuvre via l’utilisation de points médians, «l’ajout d’un x pour sortir de la binarité» voire l’hypothétique mise en place d’un pronom neutre, comme l’a fait la Suède, sont clivants. La Lausannoise préfère «voir dans ces évolutions une opportunité de réfléchir à nos représentations de la langue mais aussi des sexes et des genres et à remettre en question des évidences qui n’en sont pas».

Minorité oubliée

Pour les dyslexiques, les velléités de changer la langue relèvent du véritable casse-tête. Ces personnes, qui représenteraient jusqu’à 10% de la population, n’ont pas été prises en compte par les initiateurs du langage inclusif. Lesquels mettent pourtant un point d’honneur à tenir compte des minorités.