«La nuit venue, c’est noir comme un four!»

Des habitants et des travailleurs se plaignent du manque d’éclairage public nocturne. La Ville assure ne pas recevoir de critiques et fait le point sur sa stratégie. Selon la Verte Frédérique Perler, il s’agit de trouver l’équilibre entre la biodiversité et la sécurité des piétons.

  • Un sentiment d’insécurité règne sur la promenade Saint-Antoine dès la tombée de la nuit. MP

    Un sentiment d’insécurité règne sur la promenade Saint-Antoine dès la tombée de la nuit. MP

«Pour les femmes, c’est très insécurisant»

Micheline Calmy-Rey, ancienne présidente de la Conférération et résidente genevoise

«C’est noir comme un four! Y compris au centre-ville». Le coup de gueule est signé Micheline Calmy-Rey. L’ancienne présidente de la Confédération, habitante de Genève, fustige le manque d’éclairage public dans certaines places et rues, dès la nuit venue, dans l’émission Les beaux parleurs diffusée sur la RTS le 31 octobre dernier. Contactée par nos soins, elle persiste et signe: «Allez voir à la place Neuve, dans le parc des Bastions, sur la plaine de Plainpalais ou encore à la Terrassière. Il n’y a presque pas d’éclairage. D’une façon générale mais surtout pour nous les femmes, c’est très insécurisant de marcher dans ces endroits pour rentrer chez soi!»

«Je croise même des renards»

Et Micheline Calmy-Rey n’est pas la seule à se plaindre. Michel qui réside en Vieille-Ville partage le constat de l’ex-conseillère fédérale. «On cède à la mode du bien pensant! s’énerve-t-il. Les vols à l’arraché sont devenus plus fréquents, et, sans lumière, les passants ont l’air louche.» Même son de cloche du côté de Séverine*, serveuse au centre-ville qui n’est vraiment pas tranquille lorsqu’elle traverse la promenade Saint-Antoine au milieu de la nuit. «C’est glauque… En rentrant jusqu’à ma voiture vers minuit, après mon service, je regarde régulièrement derrière moi pour vérifier qu’on ne me suit pas.» Et d’ajouter: «Je croise même des renards!» Un sentiment d’insécurité doublé par la peur de trébucher voire de tomber. «Nos rues sont devenues des fondrières à nids-de-poule, mal entretenues. A fortiori dangereuses sans lumière», souligne Michel. Et Christine de confirmer: «Plus d’une fois, j’ai failli finir au sol. Je n’imagine même pas la galère pour une personne âgée qui peinerait à se déplacer.»

Face à ces critiques, Nicolas Betty, chef du service de l’Aménagement, du Génie Civil et de la Mobilité (AGCM) de la Ville de Genève, éclaire: «Dans le cadre du premier Plan lumière (lire encadré) mis en place en 2009, on a effectivement abaissé l’éclairage public nocturne. On procède par étapes: de la tombée de la nuit jusqu’à minuit, on diminue de 20%. Puis, de 40% jusqu’à 5h du matin. Enfin de 20% jusqu’au lever du jour.» Le chef de service se déclare toutefois surpris par les témoignages recueillis. «Sur les 800 à 1000 réclamations ou remarques que nous recevons chaque année, nous en avons très peu qui concernent l’éclairage public. En réalité, dans la majorité des cas, les gens ne font pas la différence entre un éclairage à 100% ou à 60% (avec l’abaissement de 40%).»

Un abaissement de 40%

Pourquoi ne pas régler la question en équipant les lampadaires de détecteurs de présence? «Nous allons tester ce système dans certains secteurs. Mais, dans la zone urbaine, les passages étant fréquents, ce n’est pas adapté. Mieux vaut un abaissement global de l’éclairage.» Pour autant, Nicolas Betty assure que la Ville est prête à réévaluer la situation: «Il faut que l’on regarde au cas par cas. Si on constate que telle ou telle zone est trop sombre, nous pourrions ajouter une lanterne. De toute façon, il faudra aussi que l’on s’adapte en fonction de l’impact du projet de loi cantonal.»

Voté jeudi 11 novembre par le Grand Conseil, il prévoit de limiter l’utilisation des enseignes lumineuses et l’éclairage nocturne visible de l’extérieur des bâtiments non résidentiels entre 1h et 6h du matin. «Si on prend la rue des Eaux-Vives par exemple, pour le moment, les vitrines éclairent beaucoup plus que l’éclairage public, il faudra évaluer les conséquences et, si besoin, adapter le dispositif.»

Histoire d’éviter que la devise de Genève ne se change en Post tenebras… tenebras!

* Identité connue de la rédaction

«Protection de la biodiversité et sécurité des usagers»

MP • Le premier Plan lumière remonte à 2009. Dix ans plus tard, les choses ont changé. Et un nouveau Plan lumière a vu le jour. Présenté en mai 2021, il est en train de se mettre en place. A terme, dans la zone urbaine, il prévoit un abaissement de l’éclairage public dès 22h (au lieu de minuit actuellement). «Il ne s’agit plus seulement de réduire la consommation et la facture énergétique mais de prendre aussi en compte l’impact de l’éclairage sur le vivant (êtres humains, plantes, animaux)», peut-on lire dans l’introduction. C’est ainsi qu’une «trame noire» a été développée par l’Office cantonal de l’agriculture et de la nature, l’HEPIA, la Ville de Genève, dont le Muséum d’histoire naturelle, et divers experts indépendants. Objectif: identifier les sites prioritaires à préserver de la pollution lumineuse afin d’encourager la biodiversité. Pour Frédérique Perler, conseillère administrative à la tête du Département de l’aménagement, des constructions et de la mobilité, tout est question de dosage: «Il faut garantir un juste équilibre entre la prise en compte de la protection de la biodiversité et la sécurité des usagères et usagers.»