Une fonctionnaire exige 325’000 francs de la Ville de Genève

  • Une haut fonctionnaire demande réparation financière à son employeur, notamment pour tort moral.
  • Mise sous enquête administrative, puis totalement blanchie, elle a adressé un commandement de payer.
  • La Ville de Genève assure ne pas comprendre la démarche. La justice tranchera.

  • Le commandement de payer adressé à la Ville de Genève. DR

    Le commandement de payer adressé à la Ville de Genève. DR

  • Me Robert Assaël, le représentant de la haut fonctionnaire. DR

    Me Robert Assaël, le représentant de la haut fonctionnaire. DR

«La Ville refuse d’assumer ses responsabilités»

Me Robert Assaël, avocat de la haut-fonctionnaire

Ce n’est pas courant. Une cadre de la Ville de Genève a envoyé un commandement de payer de 325’418 francs à son employeur, dont 50’000 francs pour tort moral. La Municipalité ayant fait opposition au commandement de payer, l’affaire va désormais se retrouver en justice. «La Ville refuse d’assumer ses responsabilités», constate Me Robert Assaël, avocat de la haut fonctionnaire employée de la Ville de Genève depuis 1993. En réalité, l’affaire dure depuis plusieurs années déjà sur fonds de grosses tensions entre l’exécutif de la Ville et le Conseil municipal.

Tout commence au début des années 2010. Disons-le d’emblée, les relations entre la fonctionnaire, cheffe du service du Conseil municipal, et un membre du Conseil administratif, ne sont pas au beau fixe. Et le fait que le service du Conseil municipal dépende administrativement de l’exécutif de la Ville n’arrange pas les choses.

Plaintes

Dès 2013, les relations s’enveniment. Des collaborateurs vont se plaindre de leur supérieure, qu’ils jugent tout à coup peu disponible et pas très regardante sur ses horaires. Et de dénoncer «un climat de travail fait de tensions, de divisions, de partis pris et de manipulations». «On fait les fonds de tiroirs», ironise Me Assaël. En effet, comble de l’horreur, la cadre – que la plupart de ses collaborateurs tutoie – a fait amener son chien chez le vétérinaire par une collaboratrice, sept ans ans auparavant… «Atteint de borréliose, mon chien allait mourir et c’est la collaboratrice qui me l’a proposé car j’avais un impératif professionnel relevant de ma seule fonction», explique la fonctionnaire. Qui n’apprendra qu’en mars 2014 que des plaintes sont dirigées contre elle. Stupéfaction.

40 politiciens entendus

Le directeur général de l’époque lui propose alors de changer de boulot en rejoignant l’Association des communes genevoises. Et en cas de refus? C’est l’enquête administrative, préviennent le directeur général et la responsable RH. «On m’a aussi reproché d’avoir enregistré une conversation avec un conseiller administratif à son insu ce qui est faux bien entendu», ajoute la haut fonctionnaire.

Droite dans ses bottes, la cheffe accepte l’enquête administrative, qui sera confiée en juin 2014 à une ancienne magistrate genevoise. Laure Bovy rendra un rapport de 50 pages après avoir entendu plus de 40 personnes, dont plusieurs anciens présidents du Conseil municipal, des conseillers administratifs en poste et municipaux de tout l’échiquier politique, ses collaborateurs, etc. Au final, la majorité des griefs est écartée, le seul retenu se résumant à l’irrégularité de ses horaires – en même temps, la fonctionnaire affichait plus de 300 heures supplémentaires – et l’épisode de son chien chez le vétérinaire…

Le rapport Bovy conclut que la haut fonctionnaire fait très bien tourner son service et est très appréciée. Le Conseil administratif lui inflige malgré tout un avertissement en septembre 2015, qu’elle conteste devant la chambre administrative de la Cour de justice. Le 3 février 2017, celle-ci annule l’avertissement.

«Victime d’une cabale»

«Les maigres reproches qui restaient ont été balayés et ma cliente intégralement blanchie», ajoute Me Assaël. Pour l’avocat, cette affaire est tout simplement «indigne» d’un Etat de droit: «Ma cliente a été victime d’une cabale menée par quelques collaborateurs jaloux et des supérieurs.»

Totalement innocentée, la haut fonctionnaire réclame aujourd’hui «ce qui lui est dû». Le commandement de payer comprend notamment les frais d’avocats de l’ordre de 128’000 francs, 50’000 francs de tort moral et des indemnités. «Nous allons saisir le tribunal pour obtenir la main levée de l’opposition formée par la Ville et sa condamnation à payer ce qu’elle doit. Il est regrettable que la Ville, jusqu’au-boutiste, se soit entêtée dans une procédure chicanière et inutile contre une fonctionnaire très professionnelle, compétente et dévouée», conclut Robert Assaël.

L’affaire dure ainsi depuis près de dix ans et a déjà coûté des dizaines de milliers de francs aux contribuables.

«Pas de titre pour fonder une poursuite»

«La Ville de Genève estime que la requérante ne dispose d’aucun titre pour fonder la poursuite (contrat, jugement) de sorte qu’elle a logiquement formé opposition à ce commandement de payer», indique Olivier-Georges Burri, directeur général ad intérim de la Ville. «En principe, un commandement de payer est un acte d‘exécution forcée destiné à recouvrer une créance existante», ajoute-t-il. Et de préciser qu’en Suisse «il est cependant possible d’adresser un commandement de payer sans devoir démontrer préalablement que l’on dispose véritablement d’une créance». Olivier-Georges Burri conclut: «Il est aussi possible de notifier un tel acte pour interrompre un délai de prescription et c’est peut-être le cas en l’espèce, mais nous ne pouvons en être certains, dès lors que nous ignorons les intentions de la requérante et de son conseil.»