Fallait-il confiner? Le débat fait rage!

Toujours plus de voix s’élèvent pour critiquer les dégâts économiques et sociaux du semi-confinement. Selon des experts, ces dommages auraient pu être évités avec un stock suffisant de masques et la mise en quarantaine des personnes infectées. Notre dossier.

  • Le confinement de la population ne réduirait les contaminations que de 5%. . DELUVIO/UNSPLASH

    Le confinement de la population ne réduirait les contaminations que de 5%. DELUVIO/UNSPLASH

Depuis le début de la pandémie de coronavirus, le semi-confinement généralisé a été présenté comme la seule solution pour éviter la surcharge des services hospitaliers. Et donc une hécatombe au sein de la population. Et si les autorités s’étaient trompées? Jean-Dominique Michel, anthropologue genevois et expert en santé publique, en est convaincu: «Il faut impérativement confiner les personnes à risques, mettre en quarantaine les personnes infectées, mais surtout pas les gens qui ne sont pas malades, ne présentent aucun profil de risque ou qui sont déjà immunisés. Il faut ensuite tester le plus de gens possible pour connaître les caractéristiques de l’épidémie (et non pas travailler à l’aveugle) et permettre aux gens de savoir s’ils sont infectés ou non.»

Peur et climat anxiogène

Une récente étude menée par des scientifiques de l’Université de Bâle et de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ) conclut également que le confinement de toute la population ne réduit les contaminations que de 5%. De quoi agacer Didier Sornette, directeur de la chaire des risques entrepreneuriaux au sein de l’EPFZ: «C’est la peur qui a dicté les choix des décideurs et des politiciens depuis le début de la pandémie. Les médias et les réseaux sociaux ont contribué à accentuer ce climat anxiogène.» Avant de rappeler les dégâts du semi-confinement: «Il contribue à fragiliser notre système économique alors que l’on sait très bien que pour sauver des vies, nous avons besoin d’un système de santé solide et donc d’une économie riche et performante.»

Pour Pierre Brunschwig, associé du groupe Bongénie Grieder, les dégâts économiques sont largement sous-estimés: «Ils seront beaucoup plus graves qu’on ne l’imagine. Il était relativement simple de confiner par la peur, la morale et une certaine répression, mais on se préoccupe peu de la suite dont les retombées s’étaleront sur une longue durée.»

Ajoutez à cela une hausse attendue des violences conjugales, des maladies psychiques et de la précarité des plus démunis. Myret Zaki, journaliste et ancienne rédactrice en chef du magazine Bilan, tient cependant à préciser: «Les dégâts psychologiques et les violences conjugales ne sont pas uniquement liés au confinement, mais aux craintes pour l’avenir et aux difficultés économiques.»

Médicament efficace

De son côté, Céline Amaudruz, conseillère nationale UDC, estime qu’il n’y avait pas d’autres choix: «Je vois le confinement comme un médicament efficace dont les effets secondaires sont redoutables. Il a fallu prendre dans l’urgence les mesures les plus utiles pour lutter contre la menace principale, soit le Covid-19, mais malheureusement ces dispositions entraînent des dégâts importants à bien des égards.»

Un avis partagé par le conseiller d’Etat Mauro Poggia, chargé du Département de la sécurité, de l’emploi et de la santé (DSES): «Il est indiscutable que le confinement a des effets indésirables. Et la Suisse a opté pour une voie soft, tablant plus qu’ailleurs sur le sens civique et la responsabilité individuelle.» A Genève pourtant, la crainte d’une surcharge des services hospitaliers ne s’est jamais confirmée. «On ne gouverne pas rétrospectivement, et si l’on était resté avec une capacité normale de 30 lits en soins intensifs, nos choix auraient été qualifiés à juste titre de criminels lorsqu’il a fallu accueillir jusqu’à 75 patients dans ces services de pointe. En voyant ce qui se passait ailleurs, notamment en Italie, nous pouvions craindre le pire, et personne n’aurait voulu devoir choisir entre qui devait mourir et qui avait le droit d’espérer vivre. S’il fallait refaire les choix qui ont été faits, je referais les mêmes.»

La question des masques

Avec un stock suffisant de masques, aurions-nous pu éviter un semi-confinement généralisé? Nous avons posé la question à Philippe Eggimann, président de la Société médicale de la Suisse romande. Et sa réponse interpelle: «Probablement oui. Encore aurait-il fallu que les masques soient disponibles.» Avant de rappeler un effet pervers du confinement, la mise entre parenthèses des traitements des patients fragiles ou chroniques: «Nous constatons des hospitalisations tardives pour des maladies graves comme l’infarctus du myocarde ou l’accident vasculaire cérébral. De nombreuses personnes ont différé leur prise en charge.»

Reste enfin la question des chiffres. A Taiwan par exemple, sans confinement, mais avec un contrôle strict aux frontières et une mise en quarantaine des nouveaux arrivants, on dénombre 4,9 morts par million d’habitants. En Suisse, plus de 200. «C’est un autre pays, avec un autre régime et une autre culture, se défend Mauro Poggia. On ne peut pas transposer chez nous des solutions qui ont été judicieuses ailleurs. Plus la peur s’éloigne et plus les donneurs de leçons sortent des abris. C’est sans doute le signe le plus tangible de la reprise.