La RTS censure un documentaire émouvant

CONTROVERSE • Le film «Un ange passé trop vite» consacré à la perte d’un enfant n’a reçu que des critiques élogieuses. Mais la télévision publique n’en veut pas. Explications.

  • Après la sortie du film, les parents de Yohann, Lucie (sur la photo) et Gérald, ont reçu beaucoup de lettres. TROUBADOUR FILMS

    Après la sortie du film, les parents de Yohann, Lucie (sur la photo) et Gérald, ont reçu beaucoup de lettres. TROUBADOUR FILMS

Toute la presse romande a consacré un article au documentaire Un ange passé trop vite (GHI du 24.1.19), ou comment faire le deuil d’un enfant parti trop tôt. Ce film réalisé par Nasser Bakhti, sorti en début d’année, raconte l’histoire du décès brutal de Johann 22 ans, mort la caméra au poing dans un accident d’ULM en France voisine, alors qu’il avait pris place en tant que passager pour effectuer des prises aériennes. C’était le 18 mai 2008.

Lettres de soutien

Pour les parents de Johann, il a fallu survivre, affronter comme chacun le pouvait la douleur causée par la disparition d’un être cher, ce d’autant que le corps – à l’exception d’un pied – n’a jamais été retrouvé. Leur histoire, mais aussi celles d’autres parents, est racontée dans un Un Ange passé trop vite, qui a été diffusé dans une trentaine de salles de cinéma dans toute la Suisse romande avec, à l’issue de la projection, un débat avec le public.

«Beaucoup de gens se sont confiés à nous, nous ont parlé de leur drame, témoignent Lucie et Gérald Gumy, les parents de Johann. Nous avons reçu aussi beaucoup de lettres, de courriels dont une qui nous a frappés. C’était celle d’une femme qui n’avait jamais réussi à parler à sa propre fille de la disparition de son petit-fils.»

«Le sujet du film est lourd, un peu tabou, confie le réalisateur et producteur Nasser Bakhti. J’avais un peu peur des réactions, mais partout où nous sommes allés, il y a eu une véritable interaction avec le public. Même les parents d’Adeline [ndlr: la jeune sociothérapeute assassinée en 2013 par Fabrice A.] sont venus parler au micro.»

Beaucoup de questions

Malgré tous ces soutiens, ces témoignages, la RTS – qui a coproduit une vingtaine de films du réalisateur – a décidé de ne pas diffuser le documentaire. La raison? Elle remonte à bien avant les articles élogieux des journaux. De toute façon, le nombre d’articles de presse n’aurait «rien changé», assure Gaspard Lamunière, chargé des programmes documentaires à la télévision publique romande. «Il faut savoir qu’avant de terminer son film, Nasser Bakhti a soumis à la RTS son projet pour une éventuelle co-production. Nous avons eu une longue discussion. Nous lui avons dit de prendre du recul car il était trop proche des parents. Nous avons vu par la suite le film, une fois terminé, alors qu’il nous était soumis pour un éventuel financement. Nous nous sommes posé beaucoup de questions. Dont la principale au sujet des conditions du procès de celui qui a provoqué l’accident et qui n’est pas clairement exposée. Ce n’est aucunement le thème du film qui nous a posé problème.»

Gaspard Lamunière voit dans le documentaire d’autres soucis: «Il n’y a pas de questionnement sur la colère des parents, leur frustration ainsi que leur attachement à leur ancienne belle-fille. La séance de la mère de Johann chez une médium nous a mis un peu mal à l’aise.» Et de regretter que le documentaire «se contente d’observer plutôt que de questionner».

DVD à commander

Un peu subjectif, tout ça, non? «On lit des centaines de projets et on visionne des centaines de films chaque année. On a un regard différent de celui du public», poursuit Gaspard Lamunière.

Loin de baisser les bras, Nasser Bakhti va aller proposer son film à d’autres télévisions françaises, canadiennes ou belges. Les DVD d’Un ange passé trop vite viennent de sortir et peuvent être commandés.

www.troubadour-films.com et sur la page Facebook «Un ange passé trop vite»