L’as de l’absinthe a dû plier bagage

Installé depuis quinze ans à la distillerie sise au Saconnex-d’Arve, René Wanner envisageait même de créer un musée dédié à ce patrimoine genevois méconnu. Il a été contraint de quitter les lieux. Explications.

  • René Wanner garde espoir de retrouver un local. MARIE PRIEUR

  • René Wanner garde espoir de retrouver un local. MARIE PRIEUR

René Wanner en a gros sur le cœur. Ce distillateur, grand spécialiste de l’absinthe, a été contraint de ranger son alambic et de débarrasser son bar. Installé à la distillerie de Saconnex-d’Arve depuis quinze ans, cet ex-inspecteur de police originaire du Val-de-Travers estime avoir été «mis à la porte comme un malpropre» par la municipalité de Plan-les-Ouates, propriétaire du bâtiment (lire encadré).

«Ce que j’aurais voulu, c’est qu’on me fasse un bel endroit pour que je puisse recevoir mes clients», s’insurge-t-il. Lundi 12 avril, avec l’aide de quelques proches, il a vidé l’espace de 100 m2 dans lequel il distillait et vendait son gin genevois, son whisky et surtout son absinthe. «J’étais le dernier à Genève!» regrette ce septuagénaire.

Véritable puits de savoir en ce qui concerne ce breuvage ancestral, René Wanner raconte: «Saviez-vous qu’en 1905, avant l’interdiction votée en 1908, il y avait onze distilleries à Genève? A l’époque, on distillait 500’000 litres d’absinthe par an! Contre un million dans le canton de Neuchâtel, avec 600’000 litres rien que dans le Val-de-Travers.» Des chiffres qui faisaient de Genève le deuxième canton producteur d’absinthe en Suisse.

Retour de la «fée verte» à Genève en 2006

Ce patrimoine méconnu, René Wanner est très fier de l’avoir ravivé. «J’ai ressuscité l’absinthe dans le canton en mai 2006. J’étais le premier et le seul à ce jour», clame-t-il. A cette époque, après presque un siècle de prohibition et du coup de contrebande, la «fée verte», comme on la surnomme, fait son retour officiel.

Dépositaire d’un savoir-faire recueilli auprès des anciens trafiquants, l’ex-policier à la retraite s’installe à la distillerie de Saconnex-d’Arve afin de produire le célèbre élixir, à coups de 1000 à 1500 litres par an. Ainsi naît sa société, Absintissimo.

Au fil des années, René Wanner crée la Bleue à Fernand, la Fée de la Rade ou encore la 68...harde. Et remporte de nombreux prix. «Plus de 160 médailles en tout, précise-t-il. Dont près de la moitié en or! En septembre 2019, j’ai été nommé distillateur de l’année au concours national DistiSuisse.»

Son bar chez Luc Barthassat

Un sacré parcours qu’il regrette de voir s’achever en queue de poisson. «Je me suis battu pour ce patrimoine et pour la distillerie. C’est vraiment du gâchis!» poursuit-il, visiblement affecté.

Essayant de garder espoir, René Wanner s’est lancé dans la recherche d’un local de 40 à 50 m2, «pour y ouvrir une Distillery & Spirit Academy. Je voudrais transmettre mon savoir-faire. Les gens viendraient distiller leur propre absinthe ou leur gin et repartiraient avec leur bouteille.» Et le septuagénaire d’évoquer aussi «un musée genevois de l’absinthe. J’ai du matériel ancien que l’on ne trouve nulle part ailleurs. Et aussi des vidéos où Fernand raconte la prohibition.» En attendant, son stock de bouteilles a trouvé refuge chez des amis et son impressionnant bar chez le conseiller municipal Luc Barthassat.

Une distillerie bourrée d’amiante

Si René Wanner affirme avoir été «mis à la porte», la municipalité de Plan-les-Ouates, propriétaire de la distillerie depuis 2015, assure avoir géré l’affaire dans les règles et s’être montrée très patiente. «Le bâtiment a un problème d’amiante dans la toiture», indique Mario Rodriguez, conseiller administratif chargé notamment de l’Environnement et du Génie civil. Une situation insalubre que le distillateur René Wanner a lui-même dénoncée.

De quoi inciter, en 2019, le Service de l’air, du bruit et des rayonnements non ionisants (Sabra) à interdire l’accès à la distillerie au public et à exiger des travaux d’assainissement. La municipalité s’est finalement prononcée en faveur d’une réhabilitation complète de la distillerie. «Les travaux envisagés induisaient une hausse du loyer pour chaque utilisateur, soit pour M. Wanner une augmentation de 300 à 900 francs», indique Mario Rodriguez. «En juillet 2018, la municipalité nous a annoncé un triplement du loyer alors qu’il ne s’agissait à ce moment-là que de travaux de mise en conformité qui ne réglaient pas le problème de l’amiante», s’insurge le distillateur.

Suite à ce désaccord, la commune dénonce le bail de René Wanner et lui indique qu’il doit quitter les lieux le 31 mars 2020. En raison de problèmes de santé du septuagénaire puis de la survenue du Covid-19, le délai est reporté au 30 juin. «Mais, en août, rien n’avait bougé, indique le conseiller administratif. Nous avons donc saisi le tribunal des baux et loyers afin d’arrêter une date définitive.» Celui-ci l’a fixée au 31 mars 2021. L’état des lieux de sortie a finalement eu lieu le 12 avril. «Je regrette qu’on n’ait pas pu en causer et négocier tranquillement», souffle René Wanner, amer. Quant aux travaux de réfection du bâtiment, ils sont agendés à fin 2021, début 2022.