T-shirt de la honte: débat enflammé

  • Le t-shirt que le Cycle de Pinchat fait porter à certaines élèves. DR

La rentrée à peine effectuée, une affaire de t-shirt a mis le feu aux poudres. De quoi s’agit-il? Au Cycle de Pinchat, lorsque des élèves, ultra majoritairement des jeunes filles, ont une tenue jugée provocante ou sexy, on leur fait porter un t-shirt XXL portant la mention «J’ai une tenue adéquate». Suite aux témoignages recueillis via le compte instagram sexisme_geneve et à un article du Courrier, les pros et les anti t-shirt s’écharpent. Notre face à face sur le sujet oppose l’ancienne magistrate de la Ville de Genève, Sandrine Salerno, et le député PLR et écrivain Jean Romain. GHI

A quand un monde sans sexisme ordinaire?

Sandrine Salerno, ancienne conseillère administrative (PS) de la Ville de Genève

C’est l’histoire d’une petite fille qui deviendra une femme. Une fille à qui l’on expliquera que, dans la vie, il faut faire attention à comment on s’habille, se maquille, se comporte. Une fille qui comprendra très vite que parfois, il y a des chemins, des heures à éviter. Une fille qui aura intégré qu’il faut être sur ses gardes, détourner le regard et marcher vite.

C’est l’histoire de nos vies, à nous, les femmes. Nous, qui apprenons toutes petites que tout peut arriver si nous ne savons pas nous protéger. Car, voyez-vous, nous provoquons la tentation et le désir si naturellement… Alors, une remarque déplacée, une main aux fesses, un type collant qui nous ennuie voire pire, c’est dans l’ordre des choses. C’est désagréable, mais avons-nous fait attention? N’est-ce pas un peu de notre faute? Nous voilà coresponsables et en aucun cas victimes. Nous aurions dû le savoir puisque, depuis notre naissance, on nous le répète. Même lorsqu’on dit non, ce non est trop timide, ambigu, finalement inaudible.

Au-delà de la polémique autour de ce t-shirt, ce qui se joue c’est le débat sur le sexisme ordinaire et la culture du viol. Ce qui s’exprime, c’est cette injonction qui veut que les filles doivent se protéger de la violence et du désir des garçons.

Ce t-shirt choque des femmes et des hommes aussi, j’en suis certaine, qui ne se reconnaissent pas dans ce monde sexiste, caricatural et stéréotypé. Des femmes qui veulent s’habiller comme bon leur semble sans être jugées et importunées. Des hommes qui eux aussi veulent l’égalité. Aujourd’hui et encore plus qu’hier, je rêve d’un monde où je n’aurais pas à inculquer à mes filles la culture de la peur, où elles seront libres, se sentiront respectées et protégées. Un monde diamétralement différent de celui dans lequel j’ai grandi.

Eloge de la tenue et de la retenue

Jean Romain, député PLR au Grand Conseil et écrivain

Il existe différents lieux en ce qui concerne l’habillement: les lieux ordinaires (plages, rues, musées, cinémas…), les lieux où se joue la République (parlements, écoles…), les lieux sacrés (églises, synagogues, mosquées…). Ce qui est permis dans tel lieu peut se voir proscrit dans tel autre, et peu importe son sexe. Distinguer les lieux dans leur dissemblance c’est faire preuve d’intelligence si par intelligence on entend la capacité d’établir des différences. Le sot considère que tout est du même ordre, il est guidé par la confusion.

L’école n’est pas un «lieu de vie», selon le slogan des songe-creux; c’est un lieu qui permet de s’élever grâce au savoir qu’on y transmet. C’est donc une relation à trois: un maître, une matière et un élève. Pour que cette relation opère à l’école, il faut plusieurs facteurs dont l’alchimie est délicate. Tellement délicate d’ailleurs qu’elle peut facilement être troublée. L’inintelligence du lieu gâche la relation: le bruit, l’indiscipline, le langage ordurier, la concentration défaillante, la tenue tapageuse, les pieds sur les tables, le bavardage, le masque anti-Covid.

Il existe donc à l’école un ordre républicain qui est de nature différente de l’ordre privé car il impose à chaque acteur de la retenue. On ne s’y rend pas comme dans un magasin: on enlève sa casquette, on n’exhibe pas son nombril ni son string, on n’affiche pas son appartenance à telle ou telle communauté. Car ce ne sont pas là les valeurs recherchées par l’école qui vise l’universel. Pour accéder à cet universel, l’élève doit donc s’élever (c’est l’étymologie), et ainsi brider momentanément une partie de sa propre autonomie.  Mais en dehors de l’institution, les choses sont différentes.