«Remplacer une énergie dangereuse par une autre énergie dangereuse n’est pas une bonne idée»
Alberto Mocchi, président des Verts vaudois
Difficile de trouver en Suisse un défenseur du nucléaire, qui plus est se prévalant de motivations écologiques. C’est en France qu’on les trouve, comme Bruno Comby. Que dit cet ingénieur polytechnicien et président de l’Association des écologistes pour le nucléaire: «Il y a vraiment le feu à la maison! Le problème, c’est qu’on vient avec des mesures qui ne sont pas à la hauteur de l’urgence alors qu’on a de l’eau à disposition et qu’on ne veut pas l’utiliser parce qu’on croit à tort qu’elle est dangereuse.»
Nucléaire «diabolisé»
Bruno Comby n’est pas le seul à penser ainsi. Face au réchauffement climatique, de plus en plus de voix s’élèvent pour un recours accru à l’énergie nucléaire, afin de limiter les émissions de CO2. Deux chercheurs américains, Joshua Goldstein et Staffan Qvist, viennent ainsi de publier un livre qui défend cette thèse. L’activiste américain Michael Shellenberger, nommé «Héros de l’environnement» par le magazine Time en 2008, et écologiste «pragmatique», est sur la même longueur d’ondes.
«Le nucléaire a été diabolisé depuis [les bombes atomiques lâchées à] Hiroshima et Nagasaki, explique Bruno Comby. Ceci d’autant que les deux grandes puissances de l’époque, les Etats-Unis et l’Union soviétique, ont tout fait pour en amplifier le potentiel de destruction et asseoir leur prédominance par la terreur qu’il inspirait. Et c’est dommage, car aujourd’hui, le nucléaire est la seule solution pour résoudre le problème climatique à court et moyen termes, puisqu’il n’émet quasiment pas de CO2 dans l’atmosphère.»
Pour les pro-nucléaires, en effet, les énergies renouvelables éolienne et solaire, dans leurs rendements actuels, ne peuvent pas remplacer les énergies fossiles (pétrole, gaz et charbon) émettrices de carbone. D’autant que la question du stockage de l’électricité n’est toujours pas résolue.
L’autre avantage du nucléaire est sa faible emprise sur le territoire. «Pour remplacer une seule centrale de troisième génération, il faudrait bâtir tous les 300 mètres une éolienne de 150 mètres de hauteur sur un parcours qui va de Gênes, en Italie, jusqu’à Barcelone, en Espagne, illustre encore Bruno Comby. A l’inverse, un seul gramme d’uranium fournit autant d’énergie qu’une tonne de pétrole ou de charbon. La cicatrice qu’on inflige au sol est donc un million de fois moindre!»
«Il ne faut pas choisir entre la peste et le choléra»
Un avis que ne partage pas du tout l’écologiste suisse Daniel Brélaz. «Croire que le nucléaire peut résoudre la crise climatique est une immense connerie, une utopie et une illusion, réagit l’ancien syndic de Lausanne et premier élu écologiste de l’histoire aux chambres fédérales. Ainsi, en équipant simplement cinq fois la surface de la Suisse en panneaux solaires, on couvrirait les besoins de toute l’humanité. D’autant que les techniques de stockage sont en constante amélioration.»
Pour Lisa Mazzone, conseillère nationale des Verts genevois, le nucléaire représente une fausse bonne idée. «Il ne faut pas choisir entre la peste et le choléra. L’énergie nucléaire comme les énergies fossiles sont dangereuses. Au contraire, il faut donner les moyens aux énergies renouvelables et permettre les économies d’énergie. C’est le vivier pour protéger le climat sans courir le risque nucléaire», conclut la candidate au Conseil des Etats.
Prolonger les centrales actuelles?
«Evidemment qu’il faut économiser l’énergie, renchérit Bruno Comby, qui tient à préciser que, à titre personnel, il expérimente le mode de vie zéro carbone, grâce à la maison qu’il a bâtie lui-même et à sa voiture électrique. Le problème c’est que de toute façon c’est insuffisant car même en optimisant au maximum, on n’arrivera qu’entre 10 à 30% d’économies, d’autant qu’il faut compter cinquante à cent ans pour que le CO2 actuellement présent dans l’atmosphère s’élimine.»
Un argument que lui retourne Daniel Brélaz: «Construire une centrale nucléaire prend dix à quinze ans en comptant les procédures, il serait difficile d’aller vite avec ces délais. D’autant que les réserves de la planète en uranium sont limitées. Même en misant à fond sur le nucléaire, celui-ci ne parviendrait qu’entre 7 à 8% de la consommation mondiale d’énergie. Et il n’y aurait plus d’uranium dans cinquante ans. En réalité, la seule option crédible serait de prolonger la vie de nos centrales actuelles et de les user jusqu’à la corde. Mais avec un risque de plus en plus grand de mini-Fukushima.»