«Quand les différences de prix sont aussi importantes, les autorités devraient creuser un peu»
Cédric Vincent, secrétaire général de l’association faitière MBG
Après les électriciens italiens, les constructeurs métalliques espagnols… Cette fois, c’est le chantier de la Nouvelle Comédie, aux Eaux-Vives, qui subit les conséquences de la sous-enchère salariale. Les cinq ouvriers venus d’Andalousie (Espagne) pour poser les garde-corps en acier du futur théâtre étaient payés au lance-pierre.
C’est ce qu’a découvert la commission paritaire courant septembre. Le moins bien rémunéré d’entre eux touchait 12,59 francs de l’heure. Les autres oscillaient entre 15 et 22 francs. Jusqu’à 27,89 francs pour le mieux payé. Soit encore en deçà des 29,25 francs de l’heure imposés par la convention collective de travail.
L’offre espagnole 40% moins cher
Résultat: les cinq travailleurs détachés de l’entreprise espagnole n’ont pas obtenu de prolongation de leur permis et ont quitté les lieux. «Rebelotte!» réagit Cédric Vincent, secrétaire général de l’association faîtière MBG (Métiers techniques du bâtiment Genève), représentant patronal au sein de la commission paritaire. «On se retrouve face au même problème que pour le dépôt TPG d’En Chardon. A force de privilégier le prix, voilà à quoi cela mène!»
Pour comprendre, il faut remonter à l’appel d’offres. Trois entreprises se portent candidats: deux genevoises et une espagnole. La réalisation et la pose des garde-corps en acier sont confiées à la société andalouse. Son prix: 700’000 francs. Soit 40% moins cher que l’entreprise genevoise Arteferro Suisse SA, qui estime le chantier à 1,2 million. Contre 1,7 million pour l’offre la plus chère.
La proposition des Espagnols défie toute concurrence. Sachant que le coût de l’acier varie peu d’un pays à l’autre, le patron de la société de construction métallique Arteferro Suisse SA, Gérald Brown, s’étonne: «Le seul gain possible était au niveau de la découpe au laser des garde-corps qui pouvait se faire en atelier en Espagne. Mais, encore faut-il ensuite les transporter! Cela a un coût financier et environnemental.» D’autant qu’il s’agit de grandes plaques de tôle en acier de 20 mm d’épaisseur dont certaines atteignent trois mètres de long.
De quoi nécessiter un important travail de main-d’œuvre sur place pour la pose. Estimant le prix de son concurrent anormalement bas, l’artisan genevois recourt contre l’adjudication. Peine perdue: il vient d’être débouté. Face aux nouvelles révélations, il souhaiterait aujourd’hui rencontrer la Ville de Genève pour échanger sur cette affaire et ses suites.
«Quelles sanctions?»
De leurs côtés, association patronale et syndicat ne cachent pas leur mécontentement. «Quand les différences de prix sont aussi importantes, les autorités devraient creuser un peu», insiste Cédric Vincent. «Et ne pas choisir uniquement à travers le filtre du prix!», renchérit Blaise Ortega, secrétaire syndical Unia en charge de la métallurgie du bâtiment.
Un avis que partage Michel Nargi, conseiller municipal PLR. «Quelles sanctions comptez-vous prendre?» demande-t-il au conseiller administratif chargé du Département des constructions et de l’aménagement (DCA), Rémy Pagani. Avant de s’interroger sur les méthodes d’adjudications des appels d’offres: «Comment contrôlez-vous vos adjudications et vos chantiers? Est-ce la dimension des travaux qui vous crée des problèmes? Y a-t-il un capitaine dans ce navire ou est-ce l’équipage qui dirige tout?»
Et tous les acteurs du dossier d’espérer au final que ce couac ne fasse pas virer à la tragédie le chantier de la Nouvelle Comédie.