«Il est temps que la vie reprenne ses droits!»

  • Des retards dans les livraisons de vaccins obligent le ministre de la Santé, Mauro Poggia, à ralentir, provisoirement, la campagne de vaccination.
  • Si les pharmas et la Confédération tiennent leurs engagements, la livraison de doses devrait fortement augmenter ces prochaines semaines...
  • De quoi atteindre l’immunité collective et aborder l’été avec la perspective d’un véritable et durable retour à la normalité. Grande interview.

  • Mauro Poggia à l’entrée du Centre médical universitaire où se trouve le centre de vaccination des Hôpitaux universitaire de Genève (HUG). GIM

«La vaccination est à ce jour la seule solution crédible pour sortir au plus vite de la crise»

Mauro Poggia, conseiller d’Etat chargé du Département de sécurité, de l’emploi et de la santé

GHI: Comment se porte le ministre de la Santé, de l’Emploi et de la Sécurité?
Mauro Poggia:
Je vais bien. Même si l’année écoulée compte double et qu’il ne se passe pas une semaine sans un rebondissement sur la gestion des vaccins, leurs effets secondaires, l’ouverture aux différentes classes d’âge ou les retards de livraison…

– A ce propos, de nouveaux retards freinent sérieusement la campagne de vaccination au moment même où Genève se dote d’un véritable centre de vaccination massive à Palexpo. Rageant, non?
– Oui. Vendredi 16 avril, j’ai appris qu’au lieu des 18’500 doses supplémentaires prévues, Genève n’en recevrait que 8500. Ce n’est pas possible de travailler dans une telle incertitude et sans la moindre anticipation.

– Pensez-vous, comme d’autres cantons, qu’il faudrait retirer la gestion des fournisseurs de vaccins et de la chaîne de réapprovisionnement à l’Office fédéral de la santé publique (OFSP)?
– Non. Le problème ce n’est pas la Confédération. Ce sont les entreprises pharmaceutiques qui ne respectent pas les délais de livraison et sur lesquelles la Suisse n’a aucun moyen de pression. Pourquoi n’a-t-on pas prévu des pénalités économiques pour obliger les pharmas à tenir leurs engagements… Il faudra retenir la leçon.

– C’est-à-dire?
–Penser à confier notre approvisionnement à des laboratoires nationaux sous contrôle étatique.

– En attendant, Genève a plus de candidats que de vaccins et une campagne de vaccination à la traîne?
– Pour l’heure, nous avons effectivement été obligés de réduire la cadence des injections pour ne pas avoir à annuler des rendez-vous ces prochaines semaines. C’est difficile à accepter.

– Pour résoudre ces problèmes de ravitaillement, pourquoi ne pas demander aux cantons qui ont préféré faire des réserves de redistribuer les vaccins non utilisés? On parle de centaines de milliers de doses...
– La collaboration entre cantons me semble impossible sur ce point. Aucun ministre de la Santé ne prendra le risque de modifier, et donc de décrédibiliser, sa gestion des vaccins. C’est au Conseil fédéral de trouver une meilleure clé de répartition entre les cantons qui font des stocks et ceux qui, comme Genève, vaccinent massivement. L’OFSP a promis de rééquilibrer les livraisons ces prochaines semaines. On verra bien. A terme, si Moderna et Pfizer tiennent leurs engagements, nos objectifs seront maintenus et atteints.

– Quels sont-ils?
– Que toutes les personnes qui souhaitent se faire vacciner puissent le faire d’ici fin juin.

– Cela permettrait d’atteindre une immunité collective et d’envisager un véritable déconfinement dès cet été?
– Oui. Si chacun continue à faire preuve de discipline et de solidarité dans le strict respect des mesures sanitaires, on peut raisonnablement viser une sortie de crise et, par conséquent, une reprise importante des activités sociales, économiques, culturelles et sportives.

– Le conseiller fédéral Alain Berset a donc raison de plancher d’ores et déjà sur l’organisation de grandes manifestations de 1000 à 5000 personnes pour cet été? Du coup, les amateurs de foot, par exemple, peuvent-ils espérer l’ouverture d’une fan zone pour l’Euro sur la plaine de Plainpalais?
– C’est envisageable en effet. Il faut que la vie reprenne ses droits! On ne peut pas maintenir la population sous cloche en permanence. Pour toutes les activités en plein air, nous pourrions lâcher progressivement du lest. Tout en restant vigilants.

– Et cela même si la task force scientifique, très inquiète d’une situation épidémiologique qui continue à se dégrader, met son veto?
– Les experts de la communauté scientifique sont une aide incontournable à la prise de décision. Ils ne sont en aucun cas des substituts du pouvoir politique. C’est à lui seul d’assumer ses responsabilités. Les enjeux dépassent largement les seuls aspects scientifiques ou médicaux.

– Plus concrètement?
– Notre pesée d’intérêts doit impérativement prendre en compte la reprise économique, la vie politique, familiale, les liens sociaux, l’équilibre psychique et la santé mentale de la population.

– Justement, quel message souhaitez-vous adresser aux Genevois pour ces prochaines semaines cruciales dans la lutte contre la pandémie?
– De faire confiance à la vaccination. C’est à ce jour la seule solution crédible pour sortir au plus vite de la crise et aborder la pause estivale avec des perspectives d’un véritable et durable retour à la normalité.