«Les programmes de prévention contre les discriminations devraient faire partie de l’agenda scolaire»
Johanne Gurfinkiel, secrétaire général de la Coordination intercommunautaire contre l’antisémitisme
C’est l’histoire d’un enfant banni des jeux collectifs en récréation et mis à l’écart en classe. Ses camarades, pour signifier son exclusion du groupe, affirment: «On ne joue pas avec le juif.» L’histoire est bien réelle et se déroule à Genève, en 2020. Et malheureusement, alors que débute une nouvelle année scolaire, elle pourrait tout à fait se reproduire.
«Plusieurs indicateurs montrent que les problèmes de racisme et d’antisémitisme sont en recrudescence en milieu scolaire», affirme le député PLR Pierre Conne. Une analyse que partage son homologue socialiste Romain de Sainte-Marie. Quelle est l’ampleur réelle du phénomène? Pour le savoir l’élu PLR entend demander «une véritable étude» en milieu scolaire au moyen d’une motion qu’il espère déposer cet automne avec l’appui d’autres partis.
Lieu clé pour éduquer
Une démarche qui suscite l’intérêt de la Coordination intercommunautaire contre l’antisémitisme (Cicad). «A l’heure actuelle, nous ne disposons pas de mesure scientifique du taux de discrimination raciale à l’école», regrette Johanne Gurfinkiel, secrétaire général. Or, c’est, à ses yeux, le lieu clé pour éduquer les jeunes sur ces questions. Il va plus loin: «On ne doit plus se contenter d’événements ou d’actions ponctuels. Les programmes de prévention contre les discriminations devraient faire partie de l’agenda scolaire du Département de l’instruction publique (DIP). Et ce, à tout âge. Relevant les risques liés à la prolifération des fake news et du conspirationnisme, il ajoute: «Si on veut éviter que les jeunes fonctionnent comme des éponges, on doit leur donner une formation de base pour qu’ils soient demain des citoyens éclairés et informés. C’est essentiel, surtout dans des sociétés aussi diversifiées que les nôtres.»
Partenariat
C’est dans cette logique que la Cicad a mis en place un partenariat avec l’Ecole internationale de Genève. Résultat: dès novembre 2020 débutent des ateliers pour les élèves en 9e année. Ce nouveau programme, conçu et délivré par des pédagogues spécialisés, se découpe en deux temps. Le premier concerne la compréhension des phénomènes de préjugés et discriminations raciales. Le second se penche sur la manipulation de l’information. Soulignant l’investissement de l’Ecolint, le secrétaire général regrette que le DIP soit «insuffisamment actif ou demandeur» sur ces questions.
Manuel de pédagogie antiraciste
La Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra)–Genève est un peu moins sévère avec le DIP. Mais tout aussi préoccupée. Citant le rapport annuel 2018 de la Commission fédérale contre le racisme, le secrétaire général de la Licra-Genève, Francis Cossu, s’inquiète du fait qu’après le monde du travail, «le secteur de l’éducation est le deuxième plus concerné par la discrimination raciale, avec 38 incidents recensés». Selon la Licra, l’urgence est de donner aux professeurs les outils pour répondre aux questions et situations de ce type.
D’où le soutien de l’association genevoise à un ouvrage en cours de finalisation. Sous la direction de Carole Fumeaux et Moira Laffranchini Ngoenha, ce manuel de 120 pages s’intitule Des voix contre le racisme, une voie vers la pédagogie antiraciste. S’ajouteront des fiches pédagogiques accessibles sur le site de la Licra-Genève. Ainsi qu’une proposition de formation pour les enseignants du secondaire II, sous forme de deux sessions en novembre et en décembre. Dans l’idéal, elle devrait être dispensée à tous les enseignants, estime la Licra.
«La formation des professeurs sur ces questions est extrêmement importante», insiste le député Romain de Sainte-Marie. Même s’il considère lui aussi que les actions peuvent encore être renforcées, il n’est toutefois pas favorable à l’intégration de la thématique dans le programme scolaire. «Les campagnes de sensibilisation au sein des écoles sont tout aussi efficaces», estime le socialiste. Un avis que semble partager le DIP (lire encadré).