La perspective d’une fermeture terrorise les restaurateurs

  • Malgré un bel été, un tiers des restaurants genevois sont toujours menacés de faillite.
  • Pour eux, une fermeture n’est pas concevable.
  • Seuls les établissements gastronomiques s’en sortent mieux. Notre dossier.

  • Fortement impactés financièrement, les restaurateurs jouent en ce moment leur survie.

    Fortement impactés financièrement, les restaurateurs jouent en ce moment leur survie. 123RF

«Les faillites sont inévitables, elles toucheront 25 à 30% des restaurants»

Helena Rigotti, vice-présidente de l’association GPRH

Les terrasses pleines de certains restaurants cet été étaient un mirage. La situation reste très critique et les faillites s’annoncent retentissantes ces prochains mois. Selon Laurent Terlinchamp, président de la Société des cafetiers, restaurateurs et hôteliers de Genève (SCRHG), un tiers des établissements est condamné.

Helena Rigotti, vice-présidente du GPRH (association patronale de cafetiers, restaurateurs et hôteliers), dresse également un constat inquiétant: «La situation n’est pas bonne, la fréquentation est en baisse et les clients dépensent moins. Sans oublier que l’ambiance est anxiogène. Nous n’arrivons pas à nous projeter.» Celle qui dirige également le restaurant Vino Olio Caffé en Vieille-Ville ajoute: «La fermeture définitive de certains établissements est déjà prévue à la fin de cette année. Les faillites sont inévitables, elles toucheront 25 à 30% des restaurants.»

Philippe Rubod, CEO de Swiss Hospitality, rappelle: «Hors Covid, 20% des établissements publics genevois de restauration et débit de boisson changent déjà de main chaque année, en raison de leur surabondance chronique par rapport à la taille du marché. La crise actuelle accentue cette tendance lourde. Elle fait sans doute le bonheur de certains investisseurs qui n’ont jamais eu autant d’opportunités de reprises de fonds de commerce à prix cassés.»

La haute gastronomie résiste

Ce constat doit cependant être nuancé car les restaurants visant une clientèle plus aisée s’en sortent mieux comme le confirme Philippe Chevrier, directeur du Domaine de Châteauvieux et chef étoilé: «Nous avons eu la chance de pouvoir faire une bonne reprise grâce à une clientèle fidèle. Les restaurants ont depuis récupéré un bon taux d’occupation. Les terrasses nous ont facilité la tâche pour la distanciation sociale. Désormais, il est plus compliqué de s’adapter à l’intérieur car soit nous sommes obligés de condamner des tables et donc de perdre du chiffre d’affaires, soit d’installer des séparations en plexiglas qui nécessitent de moduler les salles et de renforcer drastiquement l’hygiène lors de l’entretien entre chaque service.»

Cette résilience de la haute gastronomie est aussi relevée par Rémy Bitoun, directeur suisse de The Fork: «Dans le canton de Genève, depuis la réouverture le 11 mai dernier, la part des réservations dans les restaurants classés au guide Michelin a gagné quatre points par rapport à la même période en 2019. Les clients font sans doute plus confiance aux restaurants plus chers, probablement synonymes pour eux de qualité et d’application stricte des mesures sanitaires.»

Fermer à nouveau? Une hérésie!

Reste que l’arrivée de l’hiver coïncide avec celle d’une autre menace: une nouvelle fermeture en raison de la hausse des cas de Covid-19. Un scénario qui terrorise tout le secteur. «Ce serait une hérésie, assène Philippe Chevrier. D’autant plus qu’avec toutes les mesures sanitaires mises en place, ce n’est certainement pas dans les restaurants que l’on a le plus de risques de transmettre le virus. J’espère que nos élus sauront évaluer les dangers d’une nouvelle fermeture qui engendrerait des conséquences catastrophiques sur le plan économique.»

Un constat partagé par Rémy Bitoun: «Il est important de rappeler que les chiffres de l’OFSP (Office fédérale de la santé publique) indiquent que l’environnement familial reste la principale source de transmission du virus avec 27% des contaminations quand les bars et restaurants totalisent 1,6% des contaminations.» Et Helena Rigotti de conclure: «J’ai du mal à croire que l’Etat ou la Confédération nous ordonne à nouveau la fermeture des restaurants.»

Serveurs: «On passe notre temps à faire la police»

Le masque sur le nez, Eric* sert une bière tout en rappelant à l’ordre un client qui va aux toilettes sans son masque. «J’avais oublié», s’excuse ce dernier en revenant précipitamment à sa table. Derrière son bar, Eric peste: «C’est toujours pareil. Ça fait des mois que le masque est obligatoire, mais ils sont nombreux à jouer les surpris.» Des mois que son métier de barman a changé. «On passe neuf heures par jour à faire la police. Dans ce cas-là, autant faire flic, t’es moins em… et mieux payé!» Le ras-le-bol est tangible.

Autre établissement, même constat: «On n’arrête pas de dire aux gens de mettre leur masque, confirme Stéphane*, le gérant. Et contrairement à ce qu’on pense, les jeunes respectent mieux la règle que les vieux.» Dans un troisième troquet, Cécile*, la responsable, finit son service exténuée. Elle a dû gérer une tablée d’«anti-masques». «C’est sûr que c’est pas marrant de porter ce machin mais nous, c’est tout le temps! Et puis, si la police passe, qui paiera l’amende? Et surtout qui risque la fermeture? C’est nous!»

Trop de restrictions

Tirer à nouveau le rideau, c’est ce que craint par-dessus tout Stéphane. «Financièrement, je ne m’en remettrais pas.» Il collecte donc précieusement les coordonnées des clients sur des post-it. «C’est sûr que c’est pénible. Mais, mieux vaut ça que de fermer.»

De son côté, Eric commence à se demander si le jeu en vaut la chandelle: «On a déjà subi beaucoup de restrictions et c’est parti pour durer. Franchement, je n’ai pas fait ce métier pour l’exercer dans ces conditions. Le plaisir est parti. J’hésite à changer de travail», conclut-il, tout en pliant sa terrasse. Marie Prieur

* noms connus de la rédaction