«Par peur d'être contaminées, certaines travailleuses du sexe restent réticentes à reprende leur activité»
Isabelle Boillat, coordinatrice d'AspasieDepuis le 20 janvier 2021, la prostitution est à nouveau autorisée à Genève. En tout, deux mois et demi d’arrêt qui ont laissé le secteur exsangue. Un secteur du sexe tarifé déjà sérieusement ébranlé par trois mois d’interruption lors de la première vague de Covid-19 au printemps 2020.
«Nos salons de massage affichent pour l’instant des chiffres d’affaires d’environ 80% inférieurs à la normale», déplore ainsi Daniel Ceszkowski, président de Demi-Mondaine, une association mise sur pied voici bientôt une année pour défendre la branche. Avant de préciser: «Une poignée de salons ont déjà mis la clé sous la porte.»
Horaires inadaptés
Il faut dire que les plans sanitaires stricts n’aident pas à la réouverture des 130 établissements rescapés et à la reprise des activités des quelque 400 à 600 travailleuses du sexe (TDS) habituellement actifs dans la branche à Genève. A commencer par les restrictions horaires. «Un 6h-19h seulement en semaine et pas le dimanche peu compatible avec la prostitution, laquelle se déroule essentiellement de nuit», peste Lisa, patronne du Venusia. D’ordinaire, le plus grand salon du canton, avec ses 650 m2 et sa trentaine de «filles», est habitué à turbiner 24h sur 24 et sept jours sur sept. Début février, seule une dizaine de TDS y avaient repris le travail.
Pas de french kiss mais un masque
Autre contrainte: le traçage des clients. Avant chaque passe, ces derniers doivent s’enregistrer avec un QR code ou une application. «En principe, seul le médecin cantonal aura accès à ces données en cas de contact avec une personne testée positive. Malgré cette relative confidentialité, beaucoup de clients sont refroidis», déplore Daniel Ceszkowski. Durant les prestations, désormais limitées à deux personnes, soit le client soit la prostituée doit porter un masque. Quant aux pratiques dites tête-à-tête, telle que celle du french kiss, il est vrai assez peu appréciée des TDS, elles sont proscrites. Si l’on ajoute à tout cela la peur d’attraper le Covid, le sexe tarifé n’a plus grand-chose d’excitant du point de vue de certains clients.
«Par peur d’être contaminées, certaines TDS, surtout les plus anciennes, restent également très réticentes à reprendre le travail. Elles y sont pourtant souvent poussées par la nécessité et la précarité qui s’est installée», confie Isabelle Boillat, coordinatrice d’Aspasie, l’association de défense des TDS genevoises.
Essor des sex-cam
Reste que tout n’est pas à l’agonie dans le monde de la prostitution. Le sexe virtuel, lui, tire un peu mieux son épingle du jeu. Ainsi, sex-cam et autres téléphones roses prospèrent. Ersatz rassurants et aseptisés d’un point de vue sanitaire, ils permettent aux TDS qui s’y mettent de limiter les dégâts financiers.
Bradley Charvet, directeur de FGirl.ch, sorte d’Anibis romand de la petite annonce érotique vérifiée, résume: «Nous avons perdu environ 30% de notre chiffre d’affaires à cause des deux périodes d’arrêts, mais dès la première vague on a vécu un boom du virtuel. Et aujourd’hui, on enregistre 1,6 million de visiteurs mensuels contre 1,2 auparavant. Un succès numérique qui témoigne aussi du rôle de psychologue et de sexologue de remplacement, voire d’assistante sociale, qu’endossent bien souvent les TDS dont les deux longues absences ont plongé beaucoup de clients dans une profonde souffrance physique mais aussi, et peut-être surtout, psychique.»