L’inquiétante stagnation des salaires

  • En huit ans, le salaire médian genevois (7278 francs) n’a augmenté que de 76 francs par mois.
  • Durant la même période, certaines dépenses des ménages ont pris l’ascenseur.
  • L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) tire la sonnette d’alarme.

  • Malgré la bonne santé de l’économie genevoise, les salaires stagnent depuis plusieurs années. 123RF/ALEKSANDR DAVYDOV

    Malgré la bonne santé de l’économie genevoise, les salaires stagnent depuis plusieurs années. 123RF/ALEKSANDR DAVYDOV

«Les salariés n’ont pas bénéficié de la bonne santé de l’économie suisse. Au contraire»

Daniel Lampart, premier secrétaire de l’Union syndicale suisse

L’économie tourne à plein régime depuis plusieurs années, le taux de chômage est officiellement au plus bas (3,8% à Genève), mais les salaires n’augmentent quasiment pas. Pourquoi? Véronique Kämpfen, directrice de la communication au sein de la Fédération des entreprises romandes, a son explication: «Le taux de chômage a continué à baisser, atteignant des taux historiquement bas, ce qui montre que les entreprises ont privilégié les créations d’emplois. Selon les derniers chiffres dont on dispose, ceux de 2016, le salaire médian mensuel genevois s’élevait à 7278 francs, avec une forte différence entre les secteurs public (8927 francs) et privé (6726 francs). Ces chiffres n’ont que peu évolué au fil du temps. En 2008, le salaire médian était de 7202 francs.» Pas sûr que la hausse de 76 francs par mois ait permis de compenser l’augmentation du coût de la vie et de certaines dépenses, loyer et primes d’assurance maladie en tête.

Problème de pouvoir d’achat

Plus inquiétant encore, les prochains chiffres pour le canton ne devraient guère être plus réjouissants car, au niveau Suisse, les salaires réels baissent depuis trois ans comme le confirme Daniel Lampart, premier secrétaire de l’Union syndicale suisse (USS): «Les salariés n’ont pas bénéficié de la bonne santé de l’économie suisse. Au contraire, les salaires réels ont reculé de 0,6%! Non seulement c’est injuste, mais cela menace l’évolution économique dans le pays.» Et d’ajouter: «Il y a un problème de pouvoir d’achat car les salaires réels et les rentes des caisses de pension baissent, alors que le coût de la vie augmente.»

Faible productivité

Giovanni Ferro-Luzzi, professeur d’économie à la Haute école de gestion (HEG) et à l’Université de Genève (Unige), tient cependant à nuancer: «Il peut effectivement paraître surprenant que le chômage soit au plus bas, et en même temps que les salaires stagnent. Cependant la croissance du produit intérieur brut (PIB) n’est pas non plus très forte en Suisse. Pour l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), c’est l’absence de croissance de la productivité du travail qui est la cause de cette stagnation des salaires.»

La position de l’OCDE est plus complexe comme tient à le rappeler Andrea Bassanini, rédacteur du dernier rapport Perspectives de l’emploi de l’organisation: «La productivité n’explique pas tout. La situation est inquiétante car elle révèle une incapacité de l’économie suisse à partager équitablement les fruits de la croissance, même plusieurs années après la crise. La baisse de la part salariale et des revenus du travail est un risque pour la cohésion sociale. Elle s’explique par un double phénomène: d’une part il y a un cruel manque de compétences numériques très qualifiées et, d’autre part, le pouvoir de négociation des travailleurs baisse.»

Spectre de la précarisation

Avec pour conséquence la précarisation d’une partie des salariés: «Les salariés de la classe «laborieuse» peuvent avoir de la peine à joindre les deux bouts malgré le bon niveau de vie en Suisse, ajoute Giovanni Ferro-Luzzi. L’Office fédéral de la statistique (OFS) estime à 10% environ les bas salaires (moins de 4330 francs mensuels) en Suisse, et ce sont surtout des femmes qui font partie de ce qu’on appelle les working poors. Même si des subsides existent pour les personnes les plus précarisées, on peut redouter que certaines familles dans le bas de l’échelle des revenus puissent se trouver dans une situation plus difficile à l’avenir si leur pouvoir d’achat continue de décroître.»

Véronique Kämpfen nuance: «Contrairement à certaines idées reçues, les charges n’ont globalement pas augmenté, elles ont même légèrement diminué. Avec un revenu à disposition de l’épargne passant de 1410 francs par mois et par ménage en 2012, à 1551 francs en 2016. La baisse des dépenses de consommation (biens alimentaires, vêtements, tabac, boissons, logement, transport, communication, etc.) est compensée par la hausse des primes maladie. La balance est donc légèrement positive.» Et de conclure: «Le taux de chômage actuellement bas devrait, à la condition que la conjoncture mondiale se stabilise, contribuer à une réelle reprise des salaires.»

Faible progression en 2019

Selon les derniers chiffres publiés par l’Office fédéral de la statistique (OFS), l’augmentation des salaires nominaux devrait s’élever à 0,5% en 2019. La progression des revenus risque ainsi d’être à nouveau réduite à néant par le renchérissement, la Banque cantonale suisse (BNS) anticipant une inflation de 0,6% sur la même période. Dans son dernier bulletin, le centre de recherches conjoncturelles KOF souligne un mauvais timing: «En Suisse, dans les négociations salariales, les salaires sont principalement adaptés au renchérissement passé, alors qu’il serait plus judicieux d’associer avant tout les salaires aux hausses prévues des prix à la consommation.»