Mauro Poggia: «Le haut de la vague devrait frapper en avril»

  • Face à la pandémie, le ministre de la Santé, de l’Emploi et de la Sécurité assure que tout est mis en œuvre pour protéger la vie des Genevois.
  • A condition toutefois que chacun fasse preuve de discipline et de solidarité dans les semaines à venir, décisives pour limiter les contaminations.
  • Le magistrat avertit au passage la population qu’il se montrera intransigeant avec tous les récalcitrants. Grande interview exclusive.

  • Mauro Poggia: «Jamais depuis un siècle, nous n’avons été confrontés à un tel défi sanitaire.» GIM

«Seul l’avenir nous dira qui de la digue ou du tsunami sera le plus fort»

Mauro Poggia, conseiller d’Etat

Alors que le coronavirus poursuit sa progression, avec près de 2500 personnes infectées à Genève, les hôpitaux doivent se préparer à faire face à une hausse des malades. Le conseiller d’Etat Mauro Poggia détaille son plan de bataille.

GHI: Comment se porte le ministre de la Santé, de l’Emploi et de la Sécurité, trois secteurs particulièrement frappés par la pandémie?
Mauro Poggia: Je serais bien malvenu de me plaindre étant en première ligne pour voir ceux qui s’engagent sans compter dans ce combat, ainsi que ceux qui souffrent de cette maladie et des conséquences économiques de cette crise.

– Quelle est la principale difficulté rencontrée dans la gestion de cette crise sanitaire sans précédent?
– Jamais depuis un siècle, nous n’avons été confrontés à un tel défi sanitaire. Tout est nouveau et impose des réponses adaptées. Les mesures décidées aujourd’hui ne produisent leurs effets que dix à quinze jours plus tard. S’il faut corriger le tir, c’est en vies humaine que l’on paie les erreurs. A cela s’ajoutent les incertitudes et les angoisses liées à l’évolution de l’épidémie et à l’approvisionnement en tests et en matériel de protection.

– Sur le plan sanitaire risquons-nous une explosion de cas comme en Italie ou aux Etats-Unis par exemple?
– Cela n’entre pas dans les projections sur lesquelles nous travaillons, mais l’expérience d’autres pays nous enseigne l’humilité. C’est en nous préparant au pire que nous serons prêts.

– En parlant du pire… quand est-ce que le pic des contaminations sera atteint à Genève?
– En ce qui concerne le pic, ou le «haut de la vague» comme l’appellent certains, il devrait intervenir en avril. Plus il pourra être retardé, moins fort il sera. Vous dire s’il sera là dans quinze jours ou au-delà relève de la divination.

– D’ici là, va-t-on vers un risque du tri des patients malades par manque de place, de matériel médical et de personnel soignant dans les services de réanimation?
– Les Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), avec la collaboration des cliniques privées, ont réorganisé leurs structures d’accueil et multiplié les unités de soins intensifs. Le personnel soignant qualifié est mobilisé. Nous espérons pouvoir ainsi répondre aux besoins de soins sans avoir à faire des choix douloureux. Seul l’avenir nous dira qui de la digue ou du tsunami sera le plus fort. Cela dépendra aussi de la discipline de la population. Chacun va jouer un rôle déterminant.

– A ce propos, les règles de semi-confinement sont-elles suffisamment respectées à Genève?
– Certains ont vite compris les enjeux et se sont adaptés, d’autres s’enferment dans le déni et mettent en péril tous les efforts entrepris. J’ai le sentiment qu’une minorité peu responsable dicte sa loi. Nos polices sont sur le terrain et ont déjà notifié des dizaines d’amendes.

– Envisagez-vous de renforcer les sanctions pénales et d’étendre les fermetures aux parcs publics et quais avec l’arrivée des beaux jours?
– Le Conseil d’Etat observe attentivement l’attitude de la population. Le travail pédagogique qui a été fait ces dernières semaines semble porter ses fruits. Néanmoins, un tour de vis sera donné sans hésitation si une insouciance printanière devait se manifester. Je serai intransigeant, si nous devons sanctionner, nous le ferons.

– Les restrictions de confinement ne plaisent pas à tout le monde, des voix nombreuses s’élèvent pour réclamer un assouplissement. Que leur répondez-vous?
– Ceux-là même qui se plaignent aujourd’hui seront ceux qui reprocheront sans vergogne aux autorités leur absence de réactivité si par malheur nous devions être dépassés par l’évolution de l’épidémie. La santé de la population doit rester prioritaire et le restera.

– Et qu’en est-il de la santé économique… Sur le volet de l’emploi, combien d’entreprises et de salariés ont fait appel aux aides cantonales?
– Le chômage partiel a été demandé par près de 8000 entreprises pour environ 115’000 travailleurs. Du jamais vu! Si ces entreprises n’ont pas de perspectives à court terme pour une reprise de leur activité, ces employés risquent de perdre leur emploi. Les conséquences économiques, sociétales et humaines seraient alors sans précédent.

– Déjà fortement endetté, où l’Etat de Genève va-t-il trouver l’argent nécessaire pour soutenir durablement les sinistrés?
– Avant tout, la Confédération va devoir impérativement améliorer encore ses prestations. Je pense en particulier aux indépendants qui n’ont plus de clientèle. Quant au Canton, je suis effectivement très inquiet, sans perspectives de reprise, le chômage va augmenter, et, à terme, l’aide sociale. Avec une baisse des rentrées fiscales l’augmentation de la dette sera alors inévitable.

–Pour terminer, quel message souhaitez-vous adresser à la population genevoise pour les semaines à venir?
– Je demande à chacun de faire preuve de discipline et de solidarité. Nous sommes tous sur le même bateau et nous n’avancerons que si nous ramons ensemble, dans la même direction. L’ampleur et les conséquences de l’épreuve que nous affrontons ne doivent pas être sous-estimées. Personne ne sera épargné. Mais nous en sortirons, avec une vision nouvelle des priorités de la vie. Je suis impressionné par l’engagement, toutes professions confondues, des personnes qui se battent nuit et jour pour lutter contre cette catastrophe sanitaire et je les en remercie.

«Cette épreuve exacerbe les défauts et les qualités de chacun»

«Personne ne sortira de cette crise comme il y est entré», prévient d’emblée le conseiller d’Etat Mauro Poggia. Avant de poursuivre: «Aujourd’hui déjà, nous voyons surgir le meilleur comme le pire. Cette épreuve exacerbe les défauts et les qualités de chacun. Nous apprenons, à nos dépens, que nos certitudes et notre confort tiennent à bien peu de chose, et qu’un virus, comme un grain de sable dans une machine bien huilée, peut arrêter la planète. Celles et ceux qui vivent cette période intense, souvent d’angoisse et de souffrance, devront s’en souvenir et en parler aux générations futures, afin que l’on apprécie à nouveau à leur juste valeur ces plaisirs simples comme un repas entre amis ou une séance de cinéma, et que l’on cesse de se plaindre constamment de tout et de rien.»