Taux de chômage: le grand mensonge

  • En dix ans, le nombre de chômeurs a diminué de 2010 unités dans le canton de Genève.
  • Mais, durant la même période, les personnes au bénéfice de l’aide sociale ont augmenté de 5811.
  • La baisse du taux de chômage s’explique-t-elle par la hausse des dossiers à l’Hospice général? Explications.

  • L’Office cantonal de l’emploi près de la gare Cornavin. Depuis quelques années, le calcul du taux de chômage est attaqué de toutes parts. FRANCIS HALLER

    L’Office cantonal de l’emploi près de la gare Cornavin. Depuis quelques années, le calcul du taux de chômage est attaqué de toutes parts. FRANCIS HALLER

«Le taux de demandeurs d’emploi est plus pertinent que le taux de chômage»

Anne-Sylvie Dupont, professeure
de droit à l’Université de Genève

A chaque annonce d’une baisse du taux de chômage dans le canton, les réseaux sociaux s’enflamment. Et les critiques fusent: «Pas étonnant puisque les chômeurs en fin de droit passent au social», «On se moque du peuple, les chiffres sont faux» ou encore «La baisse du nombre de chômeurs est un écran de fumée».

Nous avons voulu vérifier. D’abord, en analysant les chiffres. Que disent-ils? Entre 2007 et 2017, le nombre de chômeurs a diminué de 2010 unités dans le canton. Parallèlement, les dossiers financiers déposés à l’Hospice général ont explosé de 80%, une hausse de 5811 cas. Faut-il y voir un lien de cause à effet? La baisse du taux de chômage dont se gargarisent les politiciens ne serait-elle que le résultat d’un effet de vase communicant?

Anne-Sylvie Dupont, professeure de droit à l’Université de Genève, est en partie de cet avis: «Je pense que c’est partiellement vrai. Le taux de chômage baisse dès que les gens cessent de percevoir des indemnités de l’assurance-chômage. Ces personnes arrivent en fin de droit et basculent sur le régime de l’aide sociale. Et ce à long terme, voire définitivement comme pour les travailleurs seniors.»

Stabilité inquiétante

Une analyse contestée par Mauro Poggia, conseiller d’Etat en charge du Département de la sécurité, de l’emploi et de la santé (DES): «Cette bascule du chômage vers l’aide sociale n’a jamais été démontrée. Elle est même contredite par le fait qu’il n’y a pas davantage de chômeurs qui arrivent en fin de droit. L’accroissement de l’aide sociale provient aussi certainement du fait que les personnes qui s’arrangeaient comme elles le pouvaient avec de petits boulots ou l’aide de proches ne peuvent plus le faire comme avant.» Même son de cloche de la part de Thierry Apothéloz, son collègue en charge du Département de la cohésion sociale (DCS): «A Genève, le nombre de chômeurs en fin de droits qui deviennent bénéficiaires de l’aide sociale s’avère en fait relativement stable.»

Une stabilité inquiétante puisqu’en moyenne près de 4000 chômeurs arrivent en fin de droits chaque année dans le canton depuis 2010. Une situation indépendante de la conjoncture économique selon Thierry Apothéloz: «Le nombre de personnes ayant recours à l’aide sociale est en hausse constante quel que soit l’état de l’économie du canton. Les emplois peu qualifiés ont tendance à disparaître et cette réalité pousse dans la précarité une population toujours croissante. Bouleversé par la quatrième révolution industrielle, le marché de l’emploi s’est durci.»

Méthode attaquée

Autre problème, la méthode de calcul utilisée pour déterminer le taux de chômage est toujours aussi contestée. Notamment par Anne-Sylvie Dupont: «Le taux de chômage ne reflète pas la réalité des demandeurs d’emploi, qui comprend non seulement les personnes touchant des indemnités chômage, mais aussi celles qui souhaitent travailler, ou travailler plus. Il s’agit, par exemple, des personnes à l’aide sociale, en processus de réinsertion sous l’égide de l’assurance-invalidité, ou encore qui ont temporairement quitté le marché du travail pour élever des enfants et qui souhaitent le réintégrer. Toutes ces personnes ne sont pas comprises dans les statistiques du chômage. Le taux de demandeurs d’emploi serait donc plus pertinent.» Une idée qui séduit en partie Mauro Poggia: «Cela serait effectivement plus intéressant, à condition de définir ce qu’est un demandeur d’emploi et que Genève ne soit pas le seul canton à faire l’exercice. Il est évident que le taux de chômage ne donne qu’une vue partielle de la situation de l’emploi à Genève.»

Une vue partielle qui continue pourtant à faire référence comme baromètre de l’emploi.

La menace du sous-emploi

En matière d’emploi, il y a ceux qui n’en ont pas et d’autres qui sont en poste, mais aimeraient travailler davantage. Selon la dernière étude réalisée par l’Office fédéral de la statistique (OFS), la Suisse est le pays où le taux de sous-emploi est le plus élevé en comparaison européenne. En 2018, 7% des personnes actives auraient souhaité travailler plus. Près de la moitié des personnes en sous-emploi désirent augmenter leur durée de travail de plus de dix heures par semaine. Elle dépasse même vingt heures hebdomadaires pour plus de 20% de ces actifs. Le taux de sous-emploi est également élevé en Espagne (5,6%), à Chypre (5,4%) et en Grèce (5,2%). Il atteint 3,4% dans l’Union européenne (28 pays), soit deux fois moins que dans notre pays.

Le chômage en chiffres

9406 chômeurs étaient enregistrés dans le canton de Genève en juillet 2019. Ils étaient 12’044 en juillet 2017.

Par ailleurs, 13’311 personnes étaient inscrites à l’Hospice général en décembre 2018.