Cruellement, Franz Weber va nous manquer!

DISPARITION • Ne nous y trompons pas: ça n’est pas un simple militant écologiste qui nous a quittés. Mais un homme immense. Habité par une spiritualité profonde. Un très grand Suisse s’en est allé.

  • Un des derniers combats, gagné,  de Franz Weber: l’initiative fédérale pour la limitation des résidences secondaires en Valais. ZWEITWOHNUNGSINITIATIVE.CH

    Un des derniers combats, gagné, de Franz Weber: l’initiative fédérale pour la limitation des résidences secondaires en Valais. ZWEITWOHNUNGSINITIATIVE.CH

C’était un homme étonnant, affectif, impulsif, un homme d’exception, un homme de cœur. Il aimait la vie, les paysages, la planète. Il aimait les animaux, de toute son âme. Il aimait la dimension sacrée des sites: celui de Delphes, avec son temple d’Apollon, vingt-six siècles d’Histoire, le souvenir de la Pythie, dont les mots ambigus dessinaient les destins. Celui de Lavaux, ce miracle des vignes perchées entre lac et ciel, qu’il a tenu à préserver. Celui de l’Engadine, chère aux grands écrivains allemands.

Seul contre tous, avec Brigitte Bardot, il a défendu les bébés phoques. Dans les années 1970, beaucoup riaient de ce combat, parlaient de sensiblerie. Aujourd’hui, tous lui donnent raison. Cette reconnaissance de l’animal comme notre frère dans l’ordre de la création, il en aura été, en Suisse et dans le monde, un merveilleux précurseur.

Suisse et universel

Toute sa vie, il nous aura parlé de notre planète comme d’une matrice, non seulement nourricière, mais spirituelle: par cette communauté d’appartenance, nous tenons ensemble. Face à l’incertitude du destin, face au néant, face à la mort, elle nous réchauffe et nous anime. Oui, Franz Weber (1927-2019) aura été l’un de nos plus grands contemporains. A la fois totalement suisse, dans les attaches, les racines, le culte des paysages, et simplement universel. Lorsque j’ai appris son décès, j’ai aussitôt pensé à mon écrivain valaisan préféré, le grand Maurice Chappaz (1916-2009), à la fois de Bagnes et du monde, du Valais et de l’univers, du terroir et de la trace lactée des comètes. Chappaz qui, comme Weber, s’était battu pour la nature: lisez les Maquereaux des cimes blanches, un livre publié en 1976, en pleine période de bétonnage de la montagne.

Beauté du monde

Et puis, Franz Weber, à sa manière, m’a toujours fait penser à Jean Ziegler, un autre contemporain que j’admire. Je ne partage pas trop les combats politiques du sociologue, mais j’admire l’homme, son courage, son engagement, sa prise de risques, son rapport à la nature, à la beauté du monde. Il y a, chez Weber comme chez Ziegler, comme chez Philippe Roch, ex-Monsieur environnement de la Confédération, une puissante dimension spirituelle dans le rapport à la nature. Elle évoque à la fois les Romantiques allemands et, plus loin dans le temps mais tellement présents par la fulgurance de leurs formules, les présocratiques. D’une manière plus générale, le rapport de Franz Weber à la nature rappelle infiniment le polythéisme des Grecs, chez qui chaque source, chaque colline, chaque bois peut devenir lieu de culte. Et ça n’est évidemment pas pour rien qu’il s’est passionné pour le site de Delphes!

Dimension sacrée

La première fois que je me suis rendu à Delphes, en 1966, je me suis dit que j’étais arrivé dans la demeure des dieux. Le génie de Franz Weber, c’est de nous avoir montré que cette dimension sacrée se trouvait partout, autour de nous, là où vibrent la vie et la beauté du monde. Partout, face à la langue d’un glacier ou dans le silence d’une clairière. Franz Weber fait partie des quelques Suisses qui resteront dans l’Histoire.