Le recrutement de Tunisiens fait grincer des dents

EMPLOI • Des conseillers au chômage genevois s’interrogent sur la nécessité d’aller chercher de la main-d’œuvre de l’autre côté de la Méditerranée. 
Les autorités se défendent.

«Faciliter le recrutement temporaire de jeunes talents tunisiens en Suisse ainsi que les soutiens proposés par le programme Perspectives.» L’invitation à une conférence en ligne (webinaire), envoyée par la fondation Swisscontact au nom du Secrétariat d’Etat aux Migration (SEM), fait bondir ceux qui l’ont reçue, en l’occurrence les abonnés à HR Magazine, une publication spécialisée dans le monde du recrutement. C’est également le cas de conseillers au chômage, qui œuvrent au quotidien pour informer et aider les demandeurs d’emploi dans le canton. «Il y a déjà tellement de Genevois au chômage! Nous sommes nombreux à ne pas comprendre l’objectif d’investir des moyens pour faire venir des Tunisiens de manière temporaire alors qu’on se bat tous les jours pour que les personnes locales retrouvent un emploi», s’étonne Jean-Claude, conseiller depuis une dizaine d’années. «Avant d’aller chercher à l’étranger, voyons ce qu’il y a en Suisse ou en Europe. Mais là, c’est incompréhensible», s’étonne une de ses collègues. Combien de temps durent ces contrats? Comment être sûr que ces personnes repartent après leur mission? C’est très flou. Le Canton de Genève soutient-il cet événement?», s’interroge un autre collaborateur.
D’emblée, on peut répondre à notre dernier interlocuteur: l’Office cantonal de l’emploi (OCE) confirme par mail n’avoir aucun lien avec ce sujet. Car c’est de l’échelon fédéral que provient cette invitation qui a fait grand bruit.«Il s’agit d’une question qui relève de la coopération au développement et qui n’a rien à voir, ni avec le Canton de Genève, ni avec l’OCE», informe Esther Mamarbachi, porte-parole au Département de l’économie et de l’emploi.
Séjour de formation et de perfectionnement
C’est donc au SEM qu’il faut s’adresser pour trouver des réponses. «Les séjours basés sur l’accord entre la Confédération suisse et la République tunisienne relatifs aux échanges de jeunes professionnels sont des séjours de formation et de perfectionnement. Les jeunes ressortissants tunisiens et suisses âgés de 18 à 35 ans ont la possibilité de travailler dans l’autre Etat contractant pendant 18 mois au maximum.
Ils peuvent exercer la profession qu’ils ont apprise ou un métier en lien avec leur domaine de formation afin d’acquérir une expérience professionnelle. Au moins un apprentissage ou un bachelor universitaire doit avoir été achevé», assure Anne Césard, porte-parole.
Plus largement, le Secrétariat se veut rassurant: «L’accord d’échange de jeunes professionnels n’est en aucun cas destiné à attirer une main-d’œuvre bon marché en provenance de l’étranger. Il s’agit de stages professionnels (séjours de formation et de perfectionnement). Par ailleurs, en raison du faible nombre d’autorisations prévues (l’accord ne porte que sur un nombre annuel maximal de 150 personnes de part et d’autre, du groupe cible et de la durée limitée du séjour), ces personnes ne sont en aucun cas en concurrence avec les chômeurs locaux. Du reste, les chiffres parlent d’eux-mêmes: depuis l’entrée en vigueur du texte en 2014, seuls 180 ressortissants tunisiens sont venus en Suisse», signale le SEM.
Milieux économiques
Mais alors, quelle est l’utilité de cette conférence en ligne, notamment destinée aux professionnels du secteur? «Le webinaire vise à mieux faire connaître l’accord entre la Suisse et la Tunisie aux milieux économiques et aux employeurs. A cette occasion, le SEM répondra aux questions sur sa mise en œuvre et sur les aspects juridiques», précise Anne Césard.
De quoi rassurer, au moins partiellement, les collaborateurs de l’OCE genevois. Qui restent cependant dubitatifs sur les moyens déployés pour faire venir des travailleurs qui vivent à plus de 1500 km de Genève. Alors que le chômage à Genève reste largement en dessus de la moyenne nationale.