Il est précisément 2h18, dans la nuit du vendredi 19 au samedi 20 août quand onze agents débarquent comme un seul homme sur la plaine de Plainpalais. Ils sont suivis de près par le fourgon aux lumières bleues. Pour l'occasion, les uniformes de la police cantonale se mêlent à ceux de la police municipale. Tous ont reçu l’ordre de vider la plaine de ses bruyants occupants. Quelques minutes plus tôt, lors du briefing au poste de Plainpalais, le lieutenant Raphaël Naef n’a pas mâché ses mots: «Maintenant, ça suffit! Il y a des gens qui veulent dormir. Il est plus de 2h, on passe en degré rouge. La discussion a ses limites. Cette fois, place à la police répressive.»
En les voyant arriver, Karim, 27 ans, ne s’y trompe pas. «Oh la descente! On a compris, on a compris...», lâche-t-il en descendant de la table de pique-nique et en invitant ses amis à couper la musique, à ramasser les canettes vides et à débarrasser le plancher... «En même temps, vous voulez qu’on aille où, ajoute-t-il en apprenant qu’une journaliste s’est glissée au milieu des agents. Ils nous ont tout pris: il n’y a plus de Fêtes de Genève, on ne peut plus aller aux Bastions, ni aux Evaux...» Un discours que les policiers qui patrouillent ici entendent régulièrement. Et qui se heurte à une autre réalité: celle des riverains qui subissent les nuisances sonores particulièrement durant les nuits d’été.
Le bruit n'est pas le seul problème dans le quartier. La plaine et ses environs ont été identifiés comme secteur prioritaire dans le contrat local de sécurité 2022 qui unit la Ville de Genève et le Canton (lire l’encadré). Objectif: lutter contre les agressions, les vols, le littering (soit le fait de laisser les déchets sur place) ou encore le deal dans cette zone.
Pour cette mission, tous les moyens sont bons. Dont cette collaboration renforcée entre les polices cantonale et municipale. Ce soir-là, pour l'«opération Palazzo», six APM (soit agent de la police municipale) et autant de membres de la PolCant composent trois patrouilles mixtes. S’ajoutent un groupe d’appui et un en civil.
Complémentarité
«Le principal intérêt, c'est la complémentarité», détaille le lieutenant Naef. «La force des APM, c’est la connaissance du terrain», renchérit le sergent Basilio Curvaia, coresponsable de l’opération. De son côté, la police cantonale dispose, elle, de prérogatives plus larges et est, par exemple, armée. «On unit nos forces», lance le sergent Curvaia. C'est aussi l'effet de masse qui est recherché. Et ça marche! Le groupe mixte, mené de main de maître par une appointée de la police de proximité, ne passe pas inaperçu dans les Bastions, où les stands de Festi’terroir sont en train de fermer boutique.
Le quatuor débute sa tournée au pas de charge dans les allées et recoins du parc. «On sait où les gens se réunissent pour s'alcooliser, commente l’appointée. En début de soirée, on leur demande juste de baisser la musique un peu plus tard. Ce n'est pas problématique tant que cela reste dans les limites. On est aussi là pour eux car, ils peuvent être victimes de vols ou d'agressions.» Ou d'un simple accident, à l'image de ce fêtard qui évolue dangereusement sur une balustrade avant de finalement parvenir à décrocher une bâche tendue au-dessus de la table pleine de victuailles.
A quelques pas de là, les as du BMX et du roller jouent, eux aussi, les équilibristes pour les 10 ans du skatepark. Les pros de la rampe ne sont pas les seuls habitués du coin. «C’est un lieu de deal, précise la même policière. Ce soir, ce n’est pas notre objectif premier mais, par notre présence, on a une incidence. On perturbe le trafic.»
«On fait corps»
Interrogé sur les avantages de cette opération commune, un appointé de la police municipale dit apprécier de patrouiller aux côtés de la police cantonale. «Ils ont des prérogatives que l’on n’a pas, confirme-t-il. C’est une force d’être ensemble. Cela donne aussi plus de visibilité à la police municipale.» Un agent de la PolCant ajoute: «Cela montre aussi à la population qu’on fait corps.»
Une démonstration fort utile aussi auprès des jeunes. A l’image de ceux qui zonent aux Minoteries. Ici, les affrontements entre bandes rivales sont fréquents. Les jeunes que nous croisons discutent paisiblement dans la cour intérieure, au milieu des immeubles. «Ce sont les gamins qui se battent», affirment-ils. Certains reconnaissent les policiers. Et vice-versa... «A les entendre, seuls les plus jeunes se bagarrent, commente l’un des agents. Mais, certains ont des casiers pour vols ou agressions.»
Cette nuit-là, rien de tel. A l’heure du bilan, sur les 43 sites couverts: «RAS». 41 personnes ont été contrôlées et 4 contraventions, liées au bruit, ont été dressées. «Merci à tous pour votre engagement. Beau travail!», conclut le lieutenant Naef en libérant ses troupes. Il est 3h15.