Médecine esthétique: la face sombre

Influencées par les réseaux sociaux et biberonnées au culte de l’apparence, de plus en plus de jeunes romandes ont recours aux interventions de médecine esthétique. Alors que la loi interdit aux esthéticiennes de pratiquer des injections, le phénomène se répand. A Genève, deux femmes ont été arrêtées en début d’année et un appel aux personnes lésées court toujours.

  • Si elle est moins invasive, la médecine esthétique comporte cependant aussi de nombreux risques. 123RF

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Monica D’Andrea avec Marie Prieur

Des lèvres plus pulpeuses, des paupières plus légères ou des joues plus remplies, les promesses de la médecine esthétique séduisent un nombre croissant de jeunes femmes. En parallèle de cette quête de beauté, la multiplication des pratiques frauduleuses inquiète. Récemment, un centre de beauté de la région lausannoise a été fermé par la police cantonale car il ne respectait pas «les dispositions en vigueur». En d’autres termes, les produits étaient injectés sans autorisation.

A Genève, ce sont deux femmes qui ont été arrêtées le 14 février. Il leur est reproché «d’avoir exercé illégalement des activités médicales et de violer la loi fédérale sur les produits thérapeutiques».

«La loi est claire, rappelle le docteur Francesco de Boccard, chirurgien et médecin esthétique à la clinique Entourage, membre de la Fédération des médecins suisses et membre du comité de la Société suisse de médecine esthétique. Tout produit qui persiste plus de trente jours dans le corps est d’usage uniquement médical ou doit être accompli sous la supervision directe d’un médecin.»

Cet aspect de la médecine esthétique est malheureusement peu connu. «C’est pourquoi des rattrapages sont à l’ordre du jour», explique Véronique Emmenegger, spécialiste en dermatologie et directrice de la Clinic Lémanic à Lausanne. La doctoresse déplore le fait qu’on ne fasse pas suffisamment de prévention surtout auprès des jeunes entre 18 et 30 ans au sujet de la médecine douce et sur la non-nécessité de recourir à la chirurgie si cela ne relève pas d’un problème médical.

Temps de réflexion

Fondamental, et d’ailleurs inclus dans chaque procédure, le temps de réflexion doit être accordé dès la première consultation. «Un mois minimum, parfois plus, afin que le patient soit totalement informé de ce qui l’attend», relate Elisa*, une chirurgienne esthétique. Ce qui n’empêche pas toujours les mauvaises expériences comme l’explique Amalia*: «Une amie s’est fait faire une augmentation mammaire. Elle a 23 ans, elle n’a pas considéré le fait d’avoir des enfants et de devoir allaiter par la suite. Elle ne semblait pas ravie du résultat, mais elle avait pu souscrire à un plan de paiement en douze mensualités et cela l’arrangeait.»

Interrogée à ce sujet, Katia Puglisi, la porte-parole de la clinique Entourage répond clairement: «La perfection n’existe pas, et après deux consultations d’une heure, nous recommandons à tous nos patients de bien réfléchir avant d’entamer une procédure médicale et nous assurons une prise en charge totale du début jusqu’à une année après l’intervention.»

Quant aux rattrapages d’acide hyaluronique ou de botox, ils sont dus à des nécroses tissulaires ou à des déséquilibres dans la quantité injectée, qui finit par déformer une bouche, une pommette, l’air de rien. «Parfois nous recevons des personnes qui ont voulu suivre un trend et n’ont pas réfléchi à l’acte médical et à ses conséquences s’il était mal exécuté par une esthéticienne», souligne Julie*, qui pratique la médecine esthétique sous supervision dans son institut en Suisse romande.

Phénomène à bloquer

Ce qui n’est pas le cas de certains centres esthétiques qui font venir des médecins de l’étranger pour pratiquer des injections, des traitements avant qu’ils ne repartent sans assurer de suivi. «Il n’est pas encore clair pour le public que de se soumettre à une intervention sans avoir de prise en charge postopératoire peut entraîner de graves conséquences», rappelle Elisa. «Dans l’ensemble, la tendance actuelle, enchaîne la doctoresse Emmenegger, est que les patients sont très souvent à la recherche de solutions moins invasives pour un résultat le plus naturel possible.»

Une notion confirmée par le docteur Francesco de Boccard. Il se dit favorable à la dénonciation des esthéticiennes qui pratiquent illégalement. «C’est, à ce jour, le seul moyen que nous ayons pour lutter contre ces abus. Cela peut sembler peu élégant, mais les stories de ces instituts disparaissent des réseaux sociaux. Les photos avant/après sont effacées et c’est trop tard, le bouche-à-oreille s’est répandu comme une traînée de poudre.»

Dans ce cas, une poudre foudroyante sachant que dans le pire des scénarios, certaines jeunes femmes peuvent perdre la vue à la suite d’une injection qui aurait touché un vaisseau menant à l’œil. «Des connaissances en anatomie sont fondamentales, même nous, médecins, nous formons pour ce genre de pratiques. N’importe quel médecin ne sait pas forcément correctement injecter certaines substances. Cela demande des compétences validées par les organes référents et les autorités.»

Autre dégât possible, une artère pourrait se boucher. «Une esthéticienne ne dispose pas de l’antidote nécessaire, l’hyaluronidase, qui dissout l’acide et le neutralise, ajoute Francesco de Boccard. Il faut s’en remettre à des professionnels et éviter les interventions motivées par l’effet de mode.»

Gap légal

Face à ces nouvelles pratiques, que font les autorités? Puisque la réglementation est cantonale et que les cas dénoncés n’entraînent pas d’urgences vitales, les lenteurs administratives sont une embûche. Les épisodes récents d’une arrestation en ville de Lausanne d’une esthéticienne qui pratiquait sans en avoir le droit et la filière d’un médecin qui octroyait des certificats de formation et des autorisations bidon ont cependant permis une prise de conscience. «La difficulté est l’application de la loi, le département du médecin cantonal n’a pas de prise sur les esthéticiennes», souligne Francesco de Boccard.

En février dernier, un avis a cependant été publié sur le site vd.ch intitulé: «Mise en garde contre les injections de Botox ou d’acide hyaluronique par des personnes non qualifiées». Du côté de Genève, suite à l’arrestation des deux femmes, le Ministère public a lancé le 23 mai un appel aux personnes lésées. A la suite de quoi, selon nos informations, une demi-douzaine de personnes ont contacté la police. L’appel est toujours en cours», indique le Ministère public. *noms d'emprunt