«La notion même de démocratie en prendrait un mauvais coup!»
Jean-Marie Fleury
Pas de surprise pour nous, on s’y attendait! Le Conseil fédéral a finalement pris sa décision sur l’aide à la presse qu’il accordera à certains médias pour pallier les difficultés que cette branche vitale de notre économie traverse actuellement. Dans ce train de mesures urgentes décrété pour contrer les effets néfastes liés à la crise du coronavirus, les journaux gratuits sont bannis, ou tout simplement oubliés. Tout comme ils le seront aussi dans le plan à long terme mis en place par notre gouvernement dès 2023. Son but est pourtant de soutenir toutes les catégories de médias comme indiqué dans l’ordonnance fédérale: «Toutes les catégories de médias», mais on a oublié de préciser «sauf les journaux gratuits»!
C’est un véritable scandale et une injustice flagrante qui crée pour l’avenir une concurrence déloyale entre les médias subventionnés et la presse écrite gratuite laissée pour compte et pour qui, si cette décision est maintenue, sonne le glas.
Chute de la publicité
C’est vrai que les journaux, les radios et les télévisions sont en proie à une chute sans précédent de la publicité. Mais, hors crise médico-sanitaire, elle est due essentiellement à la nouvelle ère ouverte par le phénomène Internet. Les annonceurs désertent les médias traditionnels au profit des plateformes numériques qui fleurissent par dizaines sur le net. C’est comme cela et personne n’y peut rien! Et ce n’est pas cette aide fédérale qui y changera quoi que ce soit. Une révolution structurelle irréversible est en marche et la plupart des journaux écrits auront disparu d’ici dix ans, c’est plus que probable.
Autrement dit, par leur décision injustifiable et irresponsable, les Chambres et le Conseil fédéral accélèrent la mort programmée des journaux gratuits, dont notamment «GHI» et «Lausanne Cités». Des hebdomadaires locaux à très forte audience, qui comptent à eux deux près de 100 ans d’existence et plus de 250’000 lecteurs. Si les journaux gratuits, qui existent en Suisse depuis le XVIIIe siècle, sont ainsi sacrifiés, on ne pourra plus dire que la libre entreprise est garantie par notre Constitution. La notion même de démocratie en prendrait un mauvais coup!
Un important poids économique
Et cela alors que la presse gratuite représente un poids économique important en Suisse. Des dizaines de journaux dans tout le pays touchent plusieurs millions de lecteurs fidèles et réguliers. Plus de mille emplois directs dans la branche, sans compter ceux générés chez les sous-traitants tels que les imprimeurs, les sociétés de distribution, les fabricants de papier, d’encre, etc. Il est important de rappeler ici, qu’en ces temps de crise, les journaux gratuits ont fourni des services d’informations à la population indispensables au bon fonctionnement des institutions. Un rôle de service public qui doit rester central dans l’aide fournie par la Confédération. D’autant qu’il garantit la diversité des médias et la pluralité des opinions.
Pour toutes ces raisons, rien ne peut justifier la décision arbitraire prise par les autorités fédérales. Nos journaux sont certes distribués gratuitement, et alors? C’est péché, interdit? Quid des radios et télévisions locales qui elles aussi sont des médias gratuits, déjà subventionnées pour certaines, et qui recevront pourtant leur part du gâteau. Et là, on ne parle même pas des grands éditeurs suisses qui, bien que réalisant en général des centaines de millions annuels de bénéfices se verront aussi attribuer des subsides pour leurs journaux payants, à condition toutefois de ne pas verser de dividende en 2020. Pas sûr que les actionnaires apprécient cette réserve.
Deux poids, deux mesures dites-vous? Mais non, on a juste rêvé qu’on vivait en démocratie…