«Ne pas se faire vacciner, c’est l’égoïsme avant la solidarité»
Mauro Poggia, chef du Département de la sécurité, de la population et de la santé
GHI: Parler de vaccination est devenu un sujet qui divise plus que les questions d’argent, de religion ou de politique… Pourquoi?
Mauro Poggia: C’est vrai… Aujourd’hui des familles, des amis ou collègues se querellent sur le sujet, au point qu’il devient tabou d’en parler. Sur cette question de la vaccination, il n’y a pas de bons ou de mauvais citoyens, ce qui est important c’est de maintenir le dialogue en évitant d’accentuer une fracture sociale dramatique.
– Comment?
– Les réticences doivent être vaincues par l’énoncé de faits avérés, par un raisonnement rationnel et par l’évidence du bon sens.
– Quels sont-ils ces faits avérés à Genève?
– Avec 290 contaminations pour 100’000 habitants sur les 14 derniers jours, Genève a de loin le taux d’incidence le plus élevé du pays. C’est le double de Zurich.
– Ce triste statut s’accompagne-t-il d’une surcharge des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG)?
– Non. En ce début de mois d’août, les hospitalisations et le service des soins intensifs restent sous contrôle.
– Autrement dit, il n’y a pas de raison de s’alarmer…
– Je n’ai pas dit cela. Aujourd’hui, nous avons une majorité de jeunes adultes, non vaccinés, qui sont contaminés avec des symptômes modérés mais plus leur nombre augmente plus le risque statistique d’avoir des cas graves augmente aussi.
– Un risque accentué par le retour des vacanciers partis à l’étranger…
– Oui. L’expérience de l’année dernière, nous a appris que le croisement des juillettistes et aoûtiens est une période délicate. Qui dit rentrée de vacances à l’étranger dit aussi rentrée de virus et peut-être de nouveaux variants.
– Quelles mesures comptez-vous prendre pour enrayer toute nouvelle vague?
– D’abord continuer à protéger les personnes âgées et les plus vulnérables notamment aux HUG, dans les EMS ou les soins à domicile. Ensuite, intensifier notre campagne de vaccination. Le taux de la population qui a reçu deux doses à Genève est d’environ 53%, soit légèrement mieux que la moyenne nationale qui se situe à près de 48%.
– Des moyennes parmi les plus basses d’Europe. Comment expliquez-vous une telle stagnation?
–Les explications sont multiples. Il y a ceux qui pensent que le virus n’est pas si dangereux, qu’ils ne tirent aucun avantage médical à se faire vacciner. D’autres pensent pouvoir attendre et voir venir. Il y a aussi de nouveaux groupes qui font de la désinformation systématique en multipliant les rumeurs les plus farfelues sur, par exemple, la perte de fécondité, la modification de l’ADN ou la prolifération de virus rendus plus agressifs par les vaccins.
– Cette «désinformation» vous met particulièrement en colère…
– Oui. Ne pas se faire vacciner est un droit. Mais c’est aussi faire passer ses préoccupations personnelles avant l’intérêt collectif. Certains diraient l’égoïsme avant la solidarité. Ce qui est inacceptable, c’est que cette minorité radicalement opposée aux mesures sanitaires renverse le sens du mot liberté et aille jusqu’à s’assimiler aux victimes de la Shoah. L’indécence a des limites, elles ont été franchies.
– Le Conseil fédéral va se réunir le 11 août pour faire le point de la situation et plancher sur son plan sanitaire pour la rentrée… Qu’en attendez-vous?
– Plusieurs scénarios sont envisagés: étendre le certificat Covid, faire payer les tests ou revoir les restrictions… L’important sera aussi de rappeler que les vaccins en Suisse sont reconnus mondialement pour offrir la meilleure protection, de l’ordre de 90-95%, y compris contre les nouveaux variants. Certes le risque zéro n’existe pas, mais entre un risque de 5-10% ou de 100%, il n’y a pas à hésiter.
– Est-ce une manière de prôner la vaccination obligatoire…
– Non. Convaincre est toujours plus difficile que contraindre. Mais beaucoup plus payant à terme…