Enseignez l’histoire, pas la morale!

L’étude de l’histoire, à l'école, ne doit pas s’accompagner de leçons de morale. Dès les premières années, elle doit constater ce qui fut. Et aiguiser, chez les élèves, la distance et le sens critique.

  • «Guernica», la célèbre œuvre de Pablo Picasso. Certains enseignants sous-estiment l’immanente noirceur de la nature humaine. 123RF/TICHR

    Une reproduction de «Guernica», la célèbre œuvre de Pablo Picasso. Certains enseignants sous-estiment l’immanente noirceur de la nature humaine. 123RF/TICHR

Il faut tout changer, dès les premières années d’école. Tout reprendre à zéro. Il faut virer les gentils propagandistes du bien et enseigner aux élèves, dès leur plus jeune âge, la réalité du monde, tel qu’il est. Le monde, dans toute sa noirceur. Dans toute sa dimension tragique. Il faut enseigner ce qui est. Et de même, ce qui fut. Il faut enseigner l’histoire, en constatant ce qui s’est passé, de façon clinique, analytique, sans s’époumoner sur le bien et le mal.

La violence et le tragique

Il faut raconter aux élèves, depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours, l’histoire des guerres, leurs vraies causes (souvent économiques). Il faut leur dire que l’histoire des hommes et des peuples fut marquée, et au fond l’est toujours, du sceau de la violence et du tragique. Il faut leur raconter ces guerres, puis les traités, les alliances, comment les nations se sont formées, ont évolué, défendu leurs intérêts, asservi leurs rivaux, fait couler le sang. Tout cela, sans leur asséner des jugements moraux. Mais en prenant acte du réel.

Trop de profs, aujourd’hui, enseignent l’histoire, ou d’autres branches, en fonction de leurs désirs personnels de cheminer vers un monde meilleur. Alors, ils y introduisent la morale. Il y aurait le bien, il y aurait le mal, les guerriers de jadis auraient fait tout faux, il s’agirait d’établir un monde meilleur, délivré de nos pulsions de domination. Mais ces profs-là, parbleu, qu’ils enseignent le catéchisme, pas l’histoire! L’ascèse de cette dernière – je parle de l’histoire politique – exige une parfaite froideur dans l’approche du réel. On lit des textes, ceux des vainqueurs, ceux des vaincus, ceux des bourreaux, ceux des victimes, on les analyse, on en met en perspective la part de propagande. On fait de la linguistique, on décortique le discours, les élèves en sont parfaitement capables, et sont les premiers demandeurs de cette distance critique. Bref, on ne milite pas! On ne fait pas de la morale! On cherche à comprendre!

Agneaux de la béatitude

Pourquoi ce virage intellectuel est-il urgent? Parce qu’on est en train, tout doucement, de formater une génération d’enfants du bien, tétanisés par l’idée que puissent exister, sur cette planète sacrée, des nations, puissamment rivales, avec des soucis de sécurité, de survie, des armées, des avions de combat. Tout cela, dans leur tête, serait caduc, dépassé. Universalistes, cosmopolites, formatés par leurs maîtres à penser «planète» plutôt que «local», ces agneaux de la béatitude sous-estiment gravement l’immanente noirceur de la nature humaine, avec ses pulsions de mort et de domination. Une étude analytique de l’histoire, dégagée de préceptes moraux, attachée à comprendre les chaînes de causes et de conséquences, leur aurait offert une autre vision, moins bienheureuse, mais plus réaliste.

Elevons le niveau!

Nous devons reprendre à zéro l’enseignement de l’histoire. Il passe par une totalité dans la connaissance d’une époque (politique, économique, linguistique, culturelle). Par une élévation constante du niveau des connaissances. Et non par des cours de morale, sur le bien et le mal.