Pénétrez dans les coulisses de la justice!

Samedi 1er octobre, le Palais de justice, situé au cœur de la Vieille-Ville, ouvre ses portes au grand public. L’occasion de découvrir les bâtiments, de visiter les violons et d’assister à des procès fictifs. Une ex-chroniqueuse judiciaire témoigne d’une époque où le monde de la justice était plus accessible.

  • La salle B4 accueille le Tribunal civil. MP

  • La salle B4 accueille le Tribunal civil. En médaillon: un tour aux violons!PHOTOS MP

    Un tour aux violons! MP

Exergue

Signature

«Le tribunal!» C’est par cette formule invitant l’assistance à se lever que débute tout procès devant le Tribunal pénal. Comme un seul homme, les accusés, leurs avocats, le public et les journalistes s’exécutent, tandis que les juges pénètrent dans la salle et prennent place. L’audience peut alors commencer.

Vous ne le saviez pas? C’est l’une des choses que vous pourrez découvrir à l’occasion des portes ouvertes du Pouvoir judiciaire, samedi 1er octobre. Durant cette journée, qui s’inscrit dans le cadre de la Semaine de la démocratie, le palais de justice se dévoile. «L’objectif, selon Patrick Becker, secrétaire général du Pouvoir judiciaire est de permettre à tout un chacun de découvrir les lieux et de mieux comprendre l’organisation et le fonctionnement des autorités judiciaires, tant civiles qu’administratives ou pénales.»

Pour rappel, les dernières portes ouvertes, le 24 septembre 2016, avaient attiré plus de 2400 curieux sur une journée. Une affluence qui avait surpris jusqu’au procureur général Olivier Jornot, lui-même.

Accusé de brigandage

Après une pause plus longue que prévue en raison du Covid, rebelote le 1er octobre. Le public pourra notamment assister à des procès fictifs. Devant le Tribunal pénal, par exemple, un homme accusé de brigandage dans une bijouterie tentera de convaincre les juges et l’assistance de son innocence. D’autres affaires imaginaires se tiendront devant le Tribunal des prud’hommes ou la chambre administrative de la Cour de justice.

Les acteurs du monde judiciaire expliqueront aux visiteurs qui se place où dans une salle d’audience ou encore en quoi consiste le quotidien d’un procureur et d’un juge. Il sera aussi possible de rencontrer un dessinateur de presse ainsi que des avocats et des médiateurs. Peut-être de quoi susciter des vocations. «Ce n’est pas l’objectif premier de cette manifestation indique Patrick Becker, qui relève que le Pouvoir judiciaire participera à la Cité des Métiers, en novembre. Mais il y aura effectivement un espace «Métiers» le 1er octobre, qui permettra de découvrir la diversité des professions contribuant à rendre la justice.»

Allez en prison

Une telle journée, c’est aussi l’occasion de découvrir les coulisses du Palais de justice. A l’instar des violons. Un assistant de sécurité publique armé de la Brigade de sécurité et des audiences (BSA), joue les guides. Comme ses 108 collègues (dont 9 femmes) de la BSA, il connaît le dédale de couloirs et d’escaliers par cœur. Trousseau de clés en main, il mène les visiteurs jusqu’aux cellules où les prévenus patientent en attendant leur procès.

«Il y en a 17. Elles sont réparties sur deux étages. Ainsi, les 5 cellules réservées aux mineurs sont bien séparées de celles pour les majeurs», précise l’assistant de sécurité publique armé, tout en ouvrant les cellules 19 et 20. Une simple banquette verte meuble la pièce d’environ 10 mètres carrés. «Les visiteurs nous demandent si les prévenus dorment ici. La réponse est non», souligne-t-il. Sur la porte, verte elle aussi, les messages gravés ont fleuri. Parmi eux: «La prison c’est dur mais la sortie c’est sûr.»

On n’est en effet pas mécontent de ressortir à l’air libre. Pour ceux qui n’en ont pas eu assez, il est aussi possible de tester la minicellule du fourgon cellulaire. Celui utilisé par la BSA pour le convoyage des détenus.

Ancien couvent et ancien hôpital

Retour dans la cour principale pour entamer la visite historique. «Saviez-vous qu’avant d’être un Palais de justice, ce bâtiment était un couvent?» interroge l’archiviste du Pouvoir judiciaire, notre seconde guide. «En 1535, lors de la Réforme, les sœurs Clarisse quittent Genève. Ce lieu de culte devient un hôpital général», poursuit-elle. Puis, au début du XVIIIe, l’hôpital est devenu trop petit pour accueillir les malades et les nécessiteux. «On décide alors de démolir la bâtisse pour construire un nouvel hôpital.» En témoignent les dates visibles aux frontons: 1708; 1709; 1711...

Des traces de cette longue histoire sont encore visibles de ci, de là. «Dans la salle A3, la plus grande salle d’audience, on a retrouvé une arche gothique, datant du XVe, explique-t-elle. Quant aux juges, ils délibèrent dans l’ancienne sacristie de la chapelle de l’hôpital général. Là où le poète Lamartine s’est marié.»

A l’étage, la salle B4 accueille quant à elle le Tribunal civil. Construite dans les années 1910, elle dispose toujours du mobilier d’origine. «Quant à la fresque qui décore le mur du fond, elle a été offerte par l’ordre des avocats en 1914», ajoute l’archiviste.

Quelques décennies plus tard, vers 1990, la justice étant à l’étroit, le palais s’agrandit. Des fouilles mettent alors au jour les vestiges d’une grande villa romaine, datant d’entre 20 et 40 après J.-C. «Cette grande fresque a été reconstituée, commente-t-elle, montrant du doigt les détails du vaste mur coloré, au bout de la salle des pas perdus. De quoi inspirer l’atelier «Dessine moi la justice» qui se tiendra le 1er octobre au sein de la bibliothèque.

A noter que cette journée offrira aussi au monde judiciaire l’opportunité d’évoquer les défis à venir, tels que le développement de la médiation et le passage à une justice 4.0 notamment avec l’arrivée du dossier judiciaire numérique. Et, qui sait, de rappeler aux visiteurs que cette justice n’a pas vocation à se faire à huis clos. Nombre de procès étant en effet publics.

Une «tricoteuse du Palais» raconte

MP • Elle connaît chaque recoin du Palais de justice. Pour cause, pendant plus de vingt ans, du début des années 80 à l’an 2000, Laurence Naef a été la chroniqueuse judiciaire de la Tribune de Genève. «On vivait pour ainsi dire au tribunal. On était en contact permanent avec les victimes, les accusés, les avocats, les juges et les substituts», se souvient-elle.

«Tout était public, y compris la Chambre d’accusation. Tant et si bien qu’on écrivait sur chaque étape d’une affaire. Rien ne nous échappait.» A cette époque, ce sont essentiellement des femmes qui suivent les audiences pour les différents médias. «On nous appelait les tricoteuses du Palais», sourit la journaliste retraitée.

Parmi les affaires qui resteront gravées dans sa mémoire: le meurtre de la Cité universitaire. Un étudiant avait étranglé sa petite amie qui voulait le quitter. «La peine a été prononcée un soir tard, vers 22h... Il a été condamné à 6 ans. Je me souviens que toute la famille de la victime, déçue, a hurlé dans la salle et jusque dans la rue. Je les entends encore...»

Autre dossier marquant: celui du viol collectif de Pré-Naville, dans le quartier des Eaux-Vives. Sur le banc des accusés: onze hommes, surnommés la bande des «Pharaons». Ils sont accusés d’avoir violé ou encouragé le viol de deux squatteuses, «et ce, alors que la notion même de viol était encore toute récente devant les tribunaux».

De toutes ces années au palais, Laurence Naef tire un enseignement: «On se rend compte que la frontière est ténue. Il suffit d’un accident de voiture mortel pour se retrouver sur le banc des accusés.» Une leçon de vie pour tous ceux qui assistent à un procès.