«Aucun doute, le livre sort renforcé de cette crise»

Avec la pandémie, les Genevois ont retrouvé le goût de la lecture. Ils se sont précipités dans les librairies dès qu’ils en ont eu l’occasion. Une nouvelle réjouissante selon Caroline Coutau, directrice des Editions Zoé.

  • Caroline Coutau:  «On revient tous au livre, aussi parce qu’on a plus de temps.» ROMAIN GUéLAT-ZOé

    Caroline Coutau: «On revient tous au livre, aussi parce qu’on a plus de temps.» ROMAIN GUÉLAT-ZOÉ

A la tête des Editions Zoé depuis 2011, Caroline Coutau a été auparavant critique et journaliste culturelle. Elle revient sur cette année exceptionnelle qui s’est apparentée à un véritable ascenseur émotionnel. Avec d’un côté la fermeture des librairies et de l’autre un regain d’intérêt pour les livres. De quoi être optimiste pour l’avenir de ce secteur essentiel à la population.

GHI: Après plus d’un an de pandémie, de fermetures des librairies, d’événements littéraires annulés, vous êtes dans quel état d’esprit?
Caroline Coutau:
Celui d’une marathonienne. Il s’agit de trouver une énergie enfouie au fond de soi. L’impression certains jours d’être comme coupée du monde demande de se concentrer fortement pour continuer de fournir un travail de qualité.

– Qu’est-ce qui a été le plus dur ces douze derniers mois?
L’inquiétude liée aux finances, à la santé de l’entreprise, puis la nécessité de rester aux aguets bien sûr et surtout à tout prix inventif. Notamment pour trouver les moyens de rester en contact avec l’ensemble de nos interlocuteurs, libraires, auteurs, journalistes, et bien évidemment lecteurs. Cela en Suisse, comme en France et en Belgique.

– Le livre a gagné en importance lors des divers semi-confinements. Quelle est votre explication?
Tous les arts vivants ont bien plus souffert. Voir un opéra depuis son canapé c’est inédit pendant vingt minutes, mais très vite la magie du spectacle en chair et en os manque. Lire dans son salon en revanche, c’est voyager dans un autre univers en toute liberté, oublier ou au contraire mieux comprendre ce qui nous arrive. On revient tous au livre, aussi parce qu’on a plus de temps, moins de contraintes sociales. Ne pas être constamment pressé permet de mieux savourer le plaisir de se plonger dans un gros roman ou dans un essai. Et puis le télétravail suscite forcément un rejet de l’écran, du moins du petit écran. Les séries, quand c’est tous les soirs, et après huit heures d’ordinateur, c’est la nausée. On oublie ce qu’on a vu la veille. En revanche, on n’oublie pas ce qu’on a lu la veille.

– Dans le même temps, la culture a été jugée comme non-essentielle. Vous arrivez à digérer cette idée?
Le Conseil fédéral a écarté les métiers du livre des mesures d’aide à la culture. Les librairies ont été jugées non-essentielles. Mais le Canton de Genève, lui, a décidé du contraire quand il a eu la main l’automne dernier lors du deuxième semi-confinement. La preuve qu’il a eu raison? Les libraires n’ont jamais vu ça, non seulement les habitués, mais de nouveaux clients, dont beaucoup de jeunes, se sont précipités en librairie. Aucun doute, le livre sort renforcé de la crise. Berne a pensé que le livre n’est pas un bien essentiel, la population l’a magistralement contredit.

– L’absence d’événements littéraires est un frein pour une maison d’édition?
Ou cela reste-t-il secondaire? Les rencontres en librairies, les festivals, les salons nous manquent. C’est l’occasion d’être en contact direct avec le lecteur. L’éditeur lit un manuscrit, puis travaille avec l’auteur: contrairement au libraire, il n’est pas en lien direct avec le lecteur. Mais les festivals et salons manquent plus encore aux auteurs. Rien de plus précieux que d’avoir des retours sur ce qu’on a écrit. Et puis, c’est aussi une source de revenus pour l’auteur. Après le temps extrêmement solitaire de l’écriture, il doit se transformer en quelque sorte en l’acteur de lui-même. L’écrivain contemporain a intégré ce nouveau rôle et, d’une manière générale, il le fait avec plaisir. Enfin, les événements littéraires manquent bien sûr au lecteur: c’est une vraie expérience pour lui de rencontrer celle ou celui qui a écrit un livre qui l’a transporté ou fait réfléchir sur lui-même, sur les autres, sur le monde.