Viols et contraintes: des collègiennes se mobilisent

Au collège Calvin, une lecture de témoignages a eu lieu révélant l’ampleur du phénomène. Une pétition a réclamé des cours sur le consentement. Le DIP promet jusqu’à 4 h de plus dès janvier 2023. A Berne, le débat se poursuit sur le plan judiciaire pour redéfinir la notion de viol. Explications.

  • Des élèves du collège Calvin ont organisé une lecture de témoignages. MP

    Des élèves du collège Calvin ont organisé une lecture de témoignages. MP

«On s’est rendu compte que la moitié d’entre nous avait subi des agressions, des viols ou des abus»

Anna, 19 ans, collégienne à Calvin

Elles sont une douzaine d’amies. Toutes collégiennes à Calvin. Ce printemps, ce petit groupe a fait un constat aussi alarmant qu’effarant: «En parlant de sexualité, on s’est rendu compte que la moitié d’entre nous avait subi des agressions, des viols ou des abus», lâche Anna, 19 ans. Un chiffre qui fait l’effet d’une bombinette. «On s’est dit qu’il fallait briser le tabou autour de ce sujet, poursuit Adyel, 18 ans. Dire haut et fort que ça arrive plus qu’on le pense, plus proche de nous qu’on le pense et aussi plus facilement qu’on le croit. Notamment au sein du couple.» Car, insistent les jeunes femmes, le consentement n’est jamais présumé y compris dans une relation établie.

Aux yeux des deux collégiennes, «en parler, c’est permettre aux victimes de se sentir écoutées et soutenues». Leur objectif: sensibiliser les élèves et le personnel enseignant. Ainsi, le 12 mai, elles ont organisé, avec l’accord de la direction de l’établissement, une lecture de témoignages. Pas moins de 13. «Tous étaient anonymes et ont été lus par quelqu’un d’autre que par la victime», précise Anna. Une façon de dire, selon ses mots, que «cela concerne tout le monde». Au-delà de cette soirée, ce que souhaitent Anna, Adyel et leurs amies, c’est que la notion de consentement soit désormais au cœur de l’éducation sexuelle donnée aux collégiens et collégiennes.

Plus de 1400 signatures

Telle était d’ailleurs la demande formulée par le collectif consentement. Comme le relevait la Tribune de Genève, en avril, ledit collectif, partant lui aussi du collège Calvin, a lancé le 7 mars une pétition réclamant des cours de «deux fois quatre périodes dans le parcours post-obligatoire sous la forme d’interventions autour du consentement». Circulant dans nombre d’établissements (Jean Piaget, Claparède, Rousseau, Voltaire, etc.) et bénéficiant du soutien de plusieurs associations dont la Grève féministe et Viol-Secours, le texte a recueilli 1417 signatures en deux semaines.

Dans la foulée, le 4 avril, le collectif a été reçu par la conseillère d’Etat Anne Emery-Torracinta. Cette dernière a alors affirmé aux collégiennes que leurs propositions s’inscrivaient dans le projet de réforme de l’éducation sexuelle à l’école. De quoi permettre de dégager des heures pour renforcer la présence dans les classes afin de parler d’éducation sexuelle et de formation à la notion de consentement. Et la magistrate de promettre jusqu’à quatre heures supplémentaires de cours sur le consentement entre la première et la troisième du secondaire II, dès janvier 2023.

«Eduquer nos enfants»

Un projet soutenu par une autre membre du Conseil d’Etat concernée par ces questions. A la tête du Bureau de promotion de l’égalité et de prévention des violences (BPEV), Nathalie Fontanet a, pour sa part, rencontré Anna. Selon la magistrate, «il faut éduquer nos enfants, garçons comme filles, à la notion de consentement. Leur apprendre à poser la question, pour s’assurer que le ou la partenaire est consentant(e), mais aussi d’être en mesure de dire non et de l’exprimer avec confiance. Il est également important de dire aux jeunes femmes qu’elles ne sont pas moins cools parce qu’elles refusent de coucher.» Si du côté du BPEV les campagnes sont principalement axées sur la lutte contre les violences domestiques, la préoccupation de fond reste la même: «le droit à l’autodétermination et le respect du corps de chacun», stipule Nathalie Fontanet, relevant par ailleurs les avancées en cours sur le plan judiciaire (lire l’encadré).

Persuadées elles aussi que l’éducation est l’une des clés pour faire bouger les choses, Maé, 20 ans et Chloé, 18 ans, toutes deux membres du collectif Consentement, espèrent que les promesses du DIP ne resteront pas lettre morte. «Ce sont essentiellement des élèves de 4e qui ont porté cette pétition, souligne Chloé. Il est important qu’on transmette le flambeau.» Un souci que partage Maé: «Nous allons rester en contact avec les enseignants et enseignantes afin d’assurer le suivi.»

En attendant, toutes sont d’accord pour dire que les cours et formations données autour de la sexualité sont, pour le moment, loin d’être la panacée. «Il y en a au primaire et au cycle, mais c’est très factuel», indique Chloé. «Et très hétéronormé, poursuit Maé. De toute façon, en 1h30 au collège, il est impossible de parler de tout. Tout juste ont-ils osé aborder la masturbation.» Même son de cloche du côté d’Anna: «On a reçu deux heures de cours mal construit en tout et pour tout en 3e», regrette la collégienne.

«Un viol peut se passer sans violence»

MP • Avocate genevoise qui a défendu des centaines de victimes d’agressions sexuelles, Lorella Bertani constate une recrudescence des viols chez les plus jeunes. «Depuis trois, quatre ans, je reçois surtout des ados», assure-t-elle. Cette évolution s’explique, peut-être en partie, par une libération de la parole. Un mouvement qui se traduit aussi dans l’évolution du droit: «La Suisse cessera d’être une exception européenne. Puisque, désormais, toute forme de pénétration non consentie sera un viol», précise Lorella Bertani. Ce qui inclut désormais la fellation et la sodomie. Au-delà de cette modification qui semble acquise, le Conseil national débattra lors de la session parlementaire en cours (du 30 mai au 17 juin) sur une épineuse question: y a-t-il viol si l’auteur agit contre la volonté ou s’il agit sans le consentement? «La majorité estime qu’il faut que le non ait été exprimé et ignoré par l’auteur. Tandis que la minorité veut qu’on adopte la théorie du consentement: seul un oui est un oui», détaille l’avocate. «Il faut surtout que l’on admette qu’un viol peut se passer sans violence. Il est avéré que, face à un danger, tout animal comme tout humain a trois réactions: fight (combattre); fly (fuir) ou freeze (être figé, paralysé). Dans le dernier cas, le viol se passe sans recours à la violence.»