Vous vous ennuyez? Lisez Plutarque!

HISTOIRE • Il y a deux millénaires, en pleine Antiquité, un homme de génie nous fait le lien entre la Grèce et Rome. Un narrateur hors-pair. Un guetteur de destins. A lire, sans tarder. Pour la modernité de son regard.

  • Replonger dans l’immensité de la culture littéraire de Plutarque. 123RF

    Replonger dans l’immensité de la culture littéraire de Plutarque. 123RF

Depuis plus d’un demi-siècle, je dévore la Vie des hommes illustres. Signé Plutarque, l’un des plus grands biographes de l’Antiquité, au premier siècle de notre ère. L’un des auteurs grecs à m’avoir le plus marqué. Je l’ai lu très jeune, dans la langue. Dans ses Vies parallèles, il compare le parcours des Grecs et des Romains célèbres, Alexandre et César, Démosthène et Cicéron. Il est lui-même à cheval sur les deux civilisations, et passe de longs séjours dans une Rome qui a certes vaincu le monde grec, mais se trouve profondément influencée par le monde hellénique, ce qu’un célèbre vers d’Horace résume en cinq mots.

Passion des temps anciens

A lui seul, par son recul historique, sa connaissance intime des antécédents, l’immensité de sa culture littéraire, Plutarque incarne le lien entre Rome et la Grèce. Et je me demande même s’il ne symbolise pas, aux yeux d’une postérité qu’il a profondément influencée (Shakespeare, Rousseau, Beethoven), l’Antiquité elle-même. Je me permets un conseil: lisez Plutarque. Choisissez, je vous prie, la remarquable traduction de Jacques Amyot: vous y entendrez chanter le français du seizième siècle, et la douceur même de cet archaïsme vous portera dans la passion des temps anciens.

Génie narratif

Plutarque n’est pas un historien, dans le sens scientifique donné aujourd’hui à ce mot, ni dans la ligne de rigueur de l’immense Athénien Thucydide, l’auteur de La Guerre du Péloponnèse, qui vécut cinq siècles avant lui. Mais il est un narrateur d’exception. Le jeune Rousseau, qui le lisait déjà avec son père, restera toute sa vie sous son influence. Beethoven le lit avec passion. Et je crois que tout adolescent, helléniste en herbe, ayant d’abord dû passer par les récits de batailles de Xénophon, puis commencé à pratiquer les Dialogues de Platon, la Poétique d’Aristote, les tragédies de Sophocle, découvre comme un chemin de bonheur, d’humanité, de génie narratif, dans cet auteur au fond assez tardif (huit siècles de littérature grecque le précèdent, depuis les temps homériques).

Oui, pour un jeune, amoureux de textes, d’histoire et de musique, il y a, dans la totalité du monde restituée par Plutarque, des fragments de vérité. Pas toujours celle de l’historien, au sens actuel. Mais celle de l’âme humaine. Longtemps, on l’a d’ailleurs décrit comme un «moraliste», non dans le sens d’un donneur de leçons, mais plutôt dans celui d’un spécialiste des mœurs. Je me souviens du professeur André Hurst, nous parlant de Plutarque avec une infinie science: non seulement l’œuvre, mais les éditions critiques, l’immensité de la postérité, c’était tout simplement passionnant de l’écouter.

Alors quoi, moraliste, historien, biographe, romancier? Depuis deux millénaires, on lui colle des étiquettes. Et si le génie de cet esprit était, justement, d’échapper à toutes les nomenclatures? Tenez, je voulais vous parler d’autre chose au début, de politique genevoise, du pouvoir, de la justice. Et puis voilà, comme détourné pas mes passions souterraines, je vous ai parlé de Plutarque. Peut-on jamais prévoir ce que votre propre plume vous réserve? Excellente semaine à tous!