A Genève, stationner relève du parcours du combattant

Mobilité • Déjà ville 
la plus congestionnée de Suisse, Genève connaît des problèmes de stationnement grandissants. De quoi faire bondir le TCS, qui s’oppose 
à la suppression de places sans contrepartie suffisante. 
Les autorités reconnaissent rechercher des solutions.

  • A Genève, il faut régulièrement tourner pendant de longues minutes pour dénicher une place à l’extérieur.

«On nous fait la guerre, on a le sentiment de gêner, d’être en trop. Pourtant, la plupart de nous sommes des travailleurs et nous avons besoin de notre véhicule pour le boulot»

Une horde d’automobilistes qui tourne désespérément en rond dans les quartiers des Eaux-Vives et des Pâquis à la recherche d’une place de parking, des scooters et des motos qui traquent le moindre petit espace à l’abri des regards pour laisser leur bécane sans prendre une amende depuis l’application stricte de l’interdiction du stationnement sur les trottoirs ou encore des résidents de Plainpalais, Champel ou de la Vieille-Ville, désormais contraints de se garer «en ouvrages», beaucoup plus chers que les places bleues. Mais aussi, dans tous les quartiers, des conducteurs, souvent des pendulaires, qui préfèrent «tourner» leur disque pendant toute la journée, plutôt que de payer une place, sous les regards médusés des habitants qui, eux, n’ont plus de lieu pour se parquer. Ou même le nouveau régime des places livraison, qui a entraîné une pluie de contraventions chez les professionnels. Pas une semaine sans que notre rédaction ne reçoive des plaintes, souvent désespérées, de Genevois qui se battent pour une chose simple: garer leur véhicule.
«On nous fait la guerre, on a le sentiment de gêner, d’être en trop. Pourtant, la plupart de nous sommes des travailleurs et nous avons besoin de notre véhicule pour le boulot. Pourquoi avons-nous été désignés comme l’ennemi à faire disparaître de nos rues?», s’emporte un quadragénaire, sanctionné cinq fois en deux mois devant chez lui. «Les élus remplissent les caisses de l’Etat sur notre dos. Je suis perçu comme un ennemi, que certains voudraient purement et simplement éliminer de la ville. Pourtant, c’est mon seul moyen de transport», regrette un autre automobiliste, qui a tenté, sans succès, de faire annuler une amende sur une place de livraison… alors que l’homme est – précisément – livreur.
Recours déposés
Une tendance combattue frontalement par le Touring Club Suisse (TCS), qui défend l’ensemble des moyens de transport à Genève, notamment le trafic motorisé. Face à la suppression de nombreuses places sur la voie publique, l’association a déposé plusieurs recours. C’est notamment le cas au quai du Cheval-Blanc, aux Acacias, où 90 places doivent être supprimées pour faire de la place à la future Voie verte, dans un quartier ou trouver une place relève pourtant déjà de la haute voltige. «Nous estimons que ces suppressions sont inutiles. Il est tout à fait possible de réaliser la Voie verte, que nous soutenons, sans éliminer les places de parc existantes», détaille le président de la section genevoise du TCS, François Membrez.
Idem pour les suppressions de places rue des Eaux-Vives, ou encore rue d’Italie, à deux pas de Rive, pour lesquels le TCS projette – là aussi – de déposer des recours. Dans ce dernier cas, en plus des habitants, ce sont les commerçants qui risqueraient d’être particulièrement impactés. «Ce sont des places qui sont constamment occupées, notamment par des artisans qui travaillent en ville. En les supprimant, on les met sérieusement en difficulté», alerte le président.
Risques pour l’économie
Et il y a pire. Le TCS redoute également que le manque de places de stationnement impacte négativement l’économie locale, en concurrence notamment avec la France voisine. «Il faut impérativement éviter que la situation provoque un report des clients dans les périphéries, avec une tentation de plus en plus grande d’aller dans les centres commerciaux de l’autre côté de la frontière. Si on rend les déplacements vers le centre-ville de Genève impossible, le risque existe clairement.»
Plus largement, l’association appelle les autorités à ne pas faire l’impasse sur la compensation des places lorsqu’elles sont supprimées. Pour François Membrez, l’approche actuelle ne permet pas de parler d’une réelle contrepartie: «Chaque place doit être remplacée dans de nouvelles infrastructures. On ne peut pas se contenter d’attribuer des espaces dans des ouvrages déjà existants, puisque cela revient à diminuer le nombre de places dans ces mêmes ouvrages.»
De son côté, la Fondation des parkings, qui a notamment pour mission de construire et d’encourager la réalisation de parcs de stationnement, se veut rassurante. «Oui, nous augmentons régulièrement les possibilités de stationnement pour les résidents dans nos ouvrages. Le prix de la plupart des abonnements «habitants» varie de 100 à 150 francs par mois dans nos parkings. Certains peuvent néanmoins coûter plus cher, comme par exemple aux Gazomètres», rappelle Emmanuelle Merle, responsable communication auprès de la Fondation. Qui met également en avant les avantages à se tourner vers ces parkings, parmi lesquels la disponibilité, la sécurité et le confort.
Solutions
Pourtant, la régie reconnaît chercher d’autres solutions, notamment pour les résidents des quartiers les plus touchés. «En étroite collaboration avec le Département de la santé et des mobilités (DSM), nous analysons l’évolution des besoins en stationnement pour adapter nos offres», informe la responsable. Parmi les pistes, une action vise à tester le principe du P+R inversé: un système dans lequel les habitants du centre-ville qui n’utilisent pas de manière quotidienne leur véhicule pourraient bénéficier d’une place de stationnement dans un P+R en périphérie, et ainsi libérer de l’espace dans les parkings au centre-ville. «Là aussi, une consultation est en cours et les choses sont susceptibles d’évoluer», précise Emmanuelle Merle.
Contrairement au TCS, l’association transports et environnement (ATE), qui défend la mobilité douce, ne voit pas les suppressions de places en extérieur d’un mauvais œil. «C’est évidemment une bonne chose, les voitures prennent trop de places sur l’espace public. C’est également le souhait de la population, qui s’est exprimée dans les urnes le 7 mars en faveur de l’assouplissement des règles de compensation pour les parkings en surface», rappelle Caroline Marti, présidente.
Plusieurs arguments sont avancés. Parmi eux, la possibilité d’effectuer de meilleurs aménagements en faveur de la mobilité douce, de végétaliser la ville, mais aussi d’améliorer la sécurité, notamment pour les piétons. «De nombreux passages protégés ne respectent pas les règles en matière de visibilité, souvent en raison des véhicules garés à proximité», éclaire Caroline Marti.
Et les commerçants? Pour l’ATE, faire un lien entre une circulation réduite au centre-ville et un recul de l’activité économique serait en réalité une idée reçue. «J’entends les craintes. Pourtant, aucune étude n’atteste que la suppression de places nuirait au commerce local. A l’usage, pacifier l’espace public en régulant le trafic permet de redynamiser et revitaliser un quartier, notamment en le rendant plus accueillant pour les piétons. Ce qui se traduit, dans de nombreux cas, par une plus grande fréquentation des commerces de proximité.

 

En chiffres

12’561 places dans les P+R Grand Genève et 7060 dans le canton*
Environ 100’000 places dans les entreprises
35’000 places (bleues et horodateurs)
20’700 places deux-roues motorisés* et 1800 (Fondation des parkings)
48’200 places vélos dans le canton
1500 cases livraison*
570 places pour personnes à mobilité réduite dans le canton
57’000 places dans les parkings publics du canton
5 P+R en projet à Genève (horizon 2030)
* Dans les 11 principales communes du canton

 

Dégager de l’espace en surface

AG • Le Département de la santé et des mobilités a élaboré un plan d’actions du stationnement pour la période 2024-2028, mis en consultation jusqu’au 29 février prochain auprès des communes genevoises et des participants aux Etats généraux des mobilités. La version définitive, ainsi que celles des 4 autres plans d'actions des mobilités, seront transmis au Conseil d'Etat puis au Parlement.
Le plan tourne autour de 5 axes: libérer l’espace public du stationnement sur voirie, lorsque cela est possible, afin d’améliorer la sécurité, 
la fluidité et la qualité de vie; renforcer l’offre P+R et harmoniser son fonctionnement à l’échelle du Grand Genève; Améliorer le stationnement pour 
les professionnels (artisans, livraisons);  Inciter à diminuer le stationnement pour les employés dans les entreprises et développer l’offre de stationnement pour les deux-roues motorisés et 
les vélos.
Parmi les dossiers sur la table: 
la tarification des macarons habitants, la possibilité pour les détenteurs de macarons d’utiliser (à un tarif préférentiel) les parkings publics et les P+R, ou encore tester un nouveau macaron professionnel pour véhicules électriques à 100 francs par mois. Autre objet de discussion: le prix du stationnement qui pourrait être harmonisé sur l’ensemble du territoire cantonal. Aujourd’hui, l’heure est fixée à 2,80 francs en ville de Genève et 1,50 franc (hors ville). Ce qui permettrait d’encourager le stationnement des véhicules privés dans les parkings en ouvrage.
Pour accompagner le succès du Léman Express, une action propose de créer une offre combinée Léman Express / P+R hors du canton pour permettre aux usagers d’utiliser le Léman Express plus en amont. Enfin, parmi les mesures qui seront étudiées: le P+R inversé. De quoi s’agit-il? D’inciter des habitants du centre-ville utilisant sporadiquement leur voiture à stationner dans un P+R périphérique (peu fréquenté) et facilement accessible en transport public.