"Les restaurateurs font preuve d'une très grande créativité"

Alors que le secteur s’inscrit dans les métiers en tension, une nouvelle certification, validant l’expérience dans les différents segments de l’hôtellerie-restauration, pourrait apaiser le coup de feu. Rencontre avec Laurent Terlinchamp, aux commandes de la Société des cafetiers, restaurateurs et hôteliers de Genève.

  • Laurent Terlinchamp, président de la Société des cafetiers, restaurateurs et hôteliers de Genève

"J'ai de bonnes raisons d'être optimiste"

Les mesures sanitaires, liée à la Covid, ont certes mis des établissements sur le flanc. Mais ce coup du sort n’a pas enterré la restauration genevoise. La voilà qui relève la tête. Mieux, un vent nouveau souffle sur les assiettes qui s’adaptent aux habitudes de consommation de la génération Z. Dès lors, si les trentenaires optent, en semaine, pour la livraison de plats à domicile, ils n’hésitent pas le week-end à déguster des mets gastronomiques. Voilà pour la tendance générale. Il reste que le secteur s’inscrit peu ou prou dans les métiers en tension. Mais une nouvelle certification, validant l’expérience dans les différents segments de l’hôtellerie-restauration, pourrait apaiser le coup de feu. Rencontre avec Laurent Terlinchamp, aux commandes de la Société des cafetiers, restaurateurs et hôteliers de Genève, qui regroupe 1500 établissements principalement en ville de Genève.

Comment le Covid et l’accélération des livraisons à domicile impactent-ils la restauration?
Laurent Terlinchamp: La première mutation, made in USA, est arrivée au tournant des années 2000. Les Genevois ont commencé à se tourner vers la vente à l’emporter. Puis avec l’émergence de la crise sanitaire et les périodes de confinement, les livraisons à domicile ont pris l’ascenseur. Et cette habitude, qui a perduré bien après la fin des mesures imposées par Berne, la population nourrissant quelques craintes en matière de contamination dans les lieux publics, est entrée dans les mœurs. Il faut relever que d’autres facteurs ont une incidence sur le secteur, comme la hausse des prix de l’énergie et celle des produits alimentaires.

Comment Genève se «met-elle à table» aujourd’hui? 
La génération Z est davantage dans l’improvisation que son aînée. En clair, elle ne s’arrête pas au supermarché ou à l’épicerie avant de regagner son domicile le soir. Dès lors, elle va passer commande et se faire livrer à domicile. En revanche, en fin de semaine, les trentenaires n’hésitent pas à courir les bonnes tables. Ils veulent de bons produits du terroir. Et à l’heure du déjeuner? On remarque que de plus en plus de Genevois renoncent au traditionnel plat du jour. Ils préfèrent acheter qui une salade, qui un sandwich qu’ils avalent sur le pouce. Ils ne consacrent plus entièrement la pause de midi à se sustenter. Ils font du sport et répondent à leur e-correspondances. On remarque aussi que les ouvriers du bâtiment ne fréquentent guère les bistrots du coin. Ils se rendent dans les self-services de grands magasins car ils peuvent trouver une place de parking.

Ces nouvelles tendances vont-elles contraindre un grand nombre de restaurateurs à mettre la clef sous le paillasson?
Notre secteur fait montre d’une véritable créativité. Je suis bluffé par la multiplicité des concepts novateurs qui collent véritablement à l’air du temps. La nouvelle génération aux commandes innove aussi concernant la gestion. Il n’est pas rare que ces jeunes restaurateurs s’associent – chacun ayant une mission bien précise – et mettent leur petit capital en commun pour lancer leur affaire. Et ça marche remarquablement bien car ils amènent une bouffée de fraîcheur et ils maîtrisent les nouveaux modes de communication.

Vous êtes plein d’optimisme face à l’avenir de la branche?
Oui et j’ai de bonnes raisons. Tout d’abord, la nouvelle conseillère d’Etat, chargée de l’Economie et de l’Emploi (DEE), Delphine Bachmann , tire véritablement à la même corde que nous. Elle va simplifier la procédure concernant l’ouverture de nouveaux établissements. Aujourd’hui, il n’est pas rare que deux mois s’écoulent entre le dépôt du dossier et l’obtention de l’autorisation. Si bien que les candidats restaurateurs payent deux mois de loyers à vide. A cet égard, elle a d’ailleurs annoncé dans sa feuille de route qu’elle allait revoir la Loi sur la restauration, le débit de boissons, l’hébergement et le divertissement. Et ce n’est pas tout, une nouvelle certification vient d’être lancée sous l’égide du DEE. Elle concerne des personnes qui exercent dans les différents segments de l’hôtellerie et la restauration sans avoir de diplôme. Elles pourront bénéficier d’une certification qui valide leur expérience. Concrètement, des spécialistes de la branche vont évaluer ces candidats in situ. L’examen portera sur les compétences techniques et l’hygiène autant que sur les connaissances des produits. Parallèlement, nous allons sensibiliser les restaurateurs à ce nouvel acquis qui profitera non seulement à leur enseigne, au personnel mais encore aux consommateurs. Sur le plan de la formation  – nos cours accueillent chaque année 600 candidats – nous allons proposer des sensibilisations à nos professions. Elles sont destinées aux étudiants – qui sont contraints d’avoir un petit boulot pour survivre – et qui pourront découvrir alors le b.a.-ba du métier.

Tout va donc bien dans le meilleur des mondes?
Oui, si l’on considère qu’avec le dynamisme des nouveaux exploitants conjugué à la volonté politique, nous avons un alignement des planètes. Mais il faut aussi rappeler que notre profession requiert de la passion parce que ce n’est pas là un métier où l’on s’enrichit. Nous sommes des minuscules entreprises regroupant généralement 3 à 5 employés. Pour tirer son épingle du jeu et s’octroyer un salaire identique à celui d’un de ses collaborateurs, un restaurateur doit réaliser un chiffre d’affaires annuel d’au moins 550’000 francs. Du côté des collaborateurs, l’introduction d’un salaire minium a amélioré la situation. Ce d’autant qu’ils bénéficient d’une convention collective prévoyant cinq semaines de vacances et un 13e salaire. Et puis, il faut savoir que les sanctions encourues par un patron qui engagerait des personnes au noir sont de nature dissuasive (une forte amende et le risque de ne plus pouvoir exercer).

A quels obstacles êtes-vous confrontés?
Nous aimerions être davantage entendus par les commissions du Conseil municipal de la Ville de Genève. La seule fois où j’ai été sollicité c’était pour me demander si le public pouvait accéder aux toilettes des cafés des Cropettes. C’est un peu court quand on sait que la majorité de nos établissements se trouvent sur le territoire de la Ville. Notre préoccupation? La prépondérance des plateformes qui contraignent les établissements hôteliers et les restaurants à multiplier les promotions, condition sine qua non à un bon référencement et donc à une augmentation de la clientèle