Les jeunes ont la foi 
mais désertent les églises

Rédigé par
Miguel Da Silva Rodrigues
Société

Alors que de moins en moins de parents transmettent  la pratique religieuse à leurs enfants, les réseaux sociaux jouent les nouveaux apôtres en dispensant des réponses aux quêtes spirituelles.

Dans un monde en crise, au dérèglement climatique, où les réseaux sociaux sont rois, existe-t-il encore de la place pour les religions chez les jeunes? Tandis que les progrès techniques rassurent toujours plus, les religions sont-elles dépassées, inadaptées aux tracas des personnes de 15-30 ans? Nous sommes allés à leur rencontre pour le savoir.
«Dieu est mort» écrivait Nietzsche au 19e siècle. Mais par qui, ou par quoi a-t-il été remplacé dans le cœur des jeunes aujourd’hui? «A la base de toute quête spirituelle, il y a un questionnement personnel», explique Marija Minarski, aumônière à Lausanne. 
Les aumôniers ont pour mission d’accompagner les personnes qui se trouvent dans un trouble existentiel, dans le désarroi, dans la détresse. Ils se rendent ainsi dans les prisons, les hôpitaux, la rue, les écoles et les gymnases ou encore les EMS.
Bien que de religion chrétienne, ils ne cherchent pas à évangéliser leurs prochains. «Ce n’est ni l’objectif ni le moment, nous sommes à l’écoute des autres, peu importe leur religion», assure Stéphane Ernst, lui aussi aumônier à Lausanne.
Confrontés à la mort
Sur le terrain, ils se retrouvent face à des jeunes qui se sentent un peu perdus. «Souvent, le décès d’un proche enclenche des interrogations profondes. Il arrive qu’ils se demandent alors: A quoi ça sert que je me lève le matin pour venir étudier si on va tous mourir un jour? Nous cherchons à accompagner ce genre de questionnements.»
Selon l’aumônier, les jeunes se passionnent toujours autant pour la religion. «Je ne dirais pas qu’il y a un désintérêt des jeunes, mais un intérêt différent. Certes, nous les voyons moins à la messe du dimanche matin, mais il existe d’autres messes plus dynamiques où ça ne désemplit pas.»  Sa collègue Marija Minarski poursuit: «Et puis sur les réseaux sociaux ils trouvent beaucoup d’indications et ils n’ont pas toujours besoin d’aller sur un lieu physique pour se ressourcer.»
Des fidèles de 60 ans et plus
Jörg Stolz est professeur ordinaire à l’Institut de sciences sociales des religions (ISSR) à Lausanne et vient de réaliser une étude d’ampleur sur le recul des religions en Suisse. Lui et son équipe ont compté le nombre de groupes religieux présents en territoire helvétique en 2008 et en 2022. Résultat: une diminution de 7%, et un vieillissement des membres de ces groupes. «Environ la moitié des participants réguliers a aujourd'hui plus de 60 ans», nous dit l’article.
La transmission s’est enrayée
Une piste pour expliquer ce vieillissement serait la transmission des parents aux enfants qui se serait enrayée. «C’est un fait de société  difficile à expliquer. Je suppose que les progrès techniques se sont substitués à beaucoup des préoccupations religieuses.» Le chercheur explique notamment que dans la santé, la médecine moderne a certainement soulagé beaucoup de préoccupations qui pouvaient amener les gens à la religion.
Il existe encore des jeunes religieux dévoués. C’est le cas de Nathan, 19 ans, étudiant à l’EPFL et juif. Il a fait toute sa scolarité enfantine dans des écoles juives. Aujourd’hui, il prie au moins une fois par jour et samedi, jour du shabbat, trois fois.
Il respecte aussi les règles plus nombreuses le samedi. «Je m’abstiens d’utiliser du feu, ou d’utiliser tout appareil électronique, comme le téléphone.» Pas si évident pour un jeune de 19 ans, lorsque les amis sont de sortie le samedi? «Je me suis habitué, et je fais cela pour me ressourcer, pour prendre une journée pour moi dans la semaine et décrocher du reste. Je passe ainsi du temps avec ma famille ou mes amis et je me concentre sur d’autres choses.»
Un contexte compliqué
Une religion pas si évidente à assumer compte tenu de la situation internationale, tant passée que présente. «Je porte une casquette ou un bonnet par-dessus la kippa dans la rue, pas par peur, mais pour me protéger. Dans un contexte d’après Seconde Guerre mondiale, l’idée n’est pas de se cacher mais de ne pas se montrer non plus.» 
Une discrétion qui s’est d’autant plus imposée après les événements récents au Proche Orient entre Israël et Palestine. En mai dernier, des étudiants pro-Palestine occupent l’EPFL et les manifestations dérangent Nathan. «Je n’ai jamais été attaqué directement. Mais la violence des slogans, que je qualifierais d’antisémites, m’a fortement mis mal à l’aise.» Si l’exemple de Nathan montre une forte implication dans sa religion, d’autres ont décidé de poursuivre un chemin différent. Hassan*, 32 ans, a grandi dans une famille d’origine égyptienne de confession musulmane. «Mes parents ne nous ont jamais rien imposé, à moi et ma sœur.» 
Un voyage intime
Il se considère aujourd’hui comme un «musulman non-pratiquant». Un éloignement qu’il associe à la vie occidentale, à laquelle il s’identifie. «Je n’ai pas grandi en Egypte, où l’on entend l’appel à la prière dans la rue et où tout le monde pratique l’islam. Je ne fais pas les cinq prières quotidiennes mais je fête toujours le Ramadan et l’Aïd Al Fitr.»
Il se voit même faire un jour le pèlerinage à La Mecque, mais pas tout de suite. «Je ne me sens pas assez sage pour le faire, et je crains que cela m’assaille de pensées négatives. Je pense qu’en étant plus vieux j’en reviendrai avec plus de bénéfices. Ici les péchés gâchent toute la sagesse que je pourrais y trouver.»
Hassan est depuis sept ans le papa du petit Rashad*. S’est alors posée la question d’une éducation religieuse ou non pour son enfant. «Sa mère lui apprend le christianisme, et moi je lui apprends un peu l’islam, notamment en lui parlant arabe. Il choisira ensuite sa propre voie. Mais pour moi la langue est un support essentiel pour apprendre ses valeurs et ses origines.» Face à un père qui parle arabe, le petit Rashad rechigne parfois à répondre dans la langue d’Al Jahiz. Mais depuis que père et fils ont passé ensemble leurs vacances en Egypte, il est plus réceptif. Alors Dieu n’est peut-être pas si dépassé. 
*Nom d’emprunt

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