A Genève, des bâtiments publics restent éclairés toute la nuit. Un gaspillage qui pèse dans les finances de la République. En cause, un manque d’investissements dans les technologies de détection.
Une fois la nuit tombée, il ne faut malheureusement pas chercher bien longtemps pour en trouver. Dans la pénombre, elles se voient d’ailleurs de loin et dégagent un halo important projeté sur les façades avoisinantes. Elles? Ce sont ces lumières qui restent allumées dans de nombreux immeubles appartenant à l’administration publique. «A quoi cela sert? Personne ne travaille dans ces locaux », s’étonne la voisine d’un bâtiment dédié au parascolaire carougeois. «Ça doit coûter une fortune. Quand il s’agit de bâtiments publics, d’une certaine manière, ce sont nos impôts qui financent ce gaspillage», relève non sans crispation un habitant du quartier de la Gradelle. Ses fenêtres donnent sur l’école de commerce Raymond-Uldry, elle aussi partiellement éclairée la nuit durant. «On nous demande de faire des efforts sur le plan énergétique, mais nos autorités ne semblent pas logées à la même enseigne. Faites ce que je dis, pas ce que je fais…»
Des cas isolés? Non. Il suffit de parcourir le canton pour constater que de nombreuses bâtisses publiques ne sont pas plongées dans l’obscurité. Ce à quoi il faut ajouter les très nombreux écrans d’ordinateurs, qui demeurent indûment actifs. Parmi les bâtiments concernés: des administrations publiques, des écoles, des bureaux, des EMS… Les politiques publiques en matière d’économie d’énergie ne seraient-elles finalement que de la poudre (lumineuse) aux yeux?
Impuissance
Pourtant sur le site Internet du Canton, l’Etat donne un éclairage sans appel: «Préserver une part d’obscurité est un enjeu dont l’importance est aujourd’hui de plus en plus reconnue. Défi transversal, l’excès d’éclairage artificiel dépense de l’énergie, peut affecter notre santé et menace la nuit un patrimoine en péril.» Sans compter que dans son Plan d’action mesures d’économie d’énergie, l’Etat annonçait en 2022 déjà, à titre de mesures conjoncturelles, «une extinction de l’éclairage nocturne intérieur (locaux, couloirs, vitrines…) et extérieur des bâtiments publics ainsi que des bâtiments non résidentiels, sauf enjeux sécuritaires.» Une volonté réaffirmée par le conseiller d’Etat à la tête de l’aménagement, Antonio Hodgers: «Le Conseil d'Etat a pris les devants depuis septembre 2022 déjà pour imposer aux propriétaires de bâtiments, privés, indépendants et entreprises d'éteindre les enseignes lumineuses et l'éclairage de bâtiments non résidentiels entre 1h et 6h du matin, lorsque l'activité du bâtiment a cessé».
Interrogé sur son rôle d’exemplarité, l’Etat se dit sensible à la préoccupation de nombreux citoyens. «Je les comprends. Nous avons tous connu cet étonnement en passant devant un grand bâtiment éclairé alors que, manifestement, il n'y a plus personne à l’intérieur et donc plus aucune activité. Mais lorsque mes services écrivent aux propriétaires pour leur signaler un cas, l'accueil est très souvent positif et la réaction proactive», rassure Antonio Hodgers.
Négligence humaine
D’après le Canton, la situation actuelle s’expliquerait avant tout par des négligences humaines. «C’est un long et régulier travail d'information auprès de toutes les entreprises que de rappeler les bienfaits, et maintenant l'obligation, d'éteindre les lumières la nuit. On le voit chez les ménages également. Une fois qu'on a pris le pli alors c'est un réflexe», précise le magistrat. Qui ajoute que les bâtiments dont la lumière reste allumée sans raison apparente sont généralement des sites au sein desquels la lumière s’enclenche manuellement. Dans la plupart des cas, elle aurait été oubliée par mégarde par les entreprises de nettoyage ou parfois par les utilisateurs, estime le magistrat.
«Il peut également s'agir d'horloges déréglées ou inexistantes, de détecteurs de présence défectueux, en panne ou trop sensibles, qui se déclenchent irrégulièrement ou à la suite de chantiers dont les réglages initiaux n'ont pas été remis en fonction. On peut également évoquer le cas de la signalisation des sorties de secours sur LED, produisant une lumière permanente qui peut faire penser que des lampes sont restées allumées. On note également que dans certains endroits avec accès au public, des bornes à ticket ou d'autres installations peuvent produire un éclairage permanent minimal», complète Pauline de Salis-Soglio, secrétaire générale adjointe au Département du territoire (DT).
Pourtant, l’Etat s’engage à ne pas rester les bras croisés. Pour améliorer la gestion de ses éclairages nocturnes et mieux maîtriser la pollution lumineuse, le Canton souhaite mettre en place un «observatoire de la nuit», premier organisme officiel de ce type en Suisse. «En rassemblant les différentes compétences concernées par les enjeux de la nuit, cet observatoire doit permettre de répondre aux besoins des communes et acteurs du territoire afin de favoriser des progrès concrets sur le terrain», détaillent les autorités.
800 bâtiments publics en Ville de Genève
Du côté de la Ville de Genève, on informe recevoir ponctuellement des signalements de citoyens concernés par cette problématique. Pour la Municipalité, le problème reste toutefois exceptionnel. «Sur 800 bâtiments du parc immobilier de la Ville de Genève, rares sont ceux qui demeurent éclairés. Le cas échéant, il peut s’agir d’un utilisateur négligent ou d’un dysfonctionnement ponctuel des détecteurs de présence», précise Anaïs Balabazan, déléguée à l’information et la communication.
La Ville affirme également intervenir immédiatement lorsqu’on lui signale un cas précis, par exemple en réparant les détecteurs défectueux ou en rappelant les règles s’il s’agit d’un problème humain. Plus largement, elle rappelle avoir entrepris un programme massif d’investissements visant à remplacer les luminaires équipés de sources d’éclairages énergivores par de la LED. Mais aussi la systématisation de détecteurs de présence.
«Constat nocturne» à Carouge
A Carouge, on ne badine pas avec le gaspillage. La cité sarde a en effet réalisé «un constat nocturne» de l’éclairage de l’ensemble des bâtiments communaux, soit une soixantaine d’adresses. Objectif? Débusquer d’éventuels manquements. «Nous avons constaté quelques anomalies mineures et ponctuelles. Les causes principales sont soit techniques (mauvais réglages d’horloges ou pilotage de certains luminaires par une commande provenant de l’éclairage public SIG), soit comportementales (oublis des utilisateurs) (…) A priori, ce n’est pas de la mauvaise volonté mais plutôt un manque de connaissance de l’état actuel de la situation dans les différents bâtiments ainsi qu’un manque de ressources humaines pour traiter le sujet, qui amène à ce genre de situations. Il s’agit souvent de dysfonctionnements techniques dont les propriétaires et/ou exploitants n’ont toujours pas connaissance», détaille-t-on au Secrétariat général de la Mairie.
Pour faire face, Carouge affirme sensibiliser le personnel et les utilisateurs sur le plan comportemental, mais également mettre en œuvre des mesures techniques correctives. «Au-delà de la contrainte légale, il est bien entendu recommandé d’éteindre l’éclairage des bâtiments durant la nuit afin de réaliser des économies.» Par ailleurs, Carouge procède actuellement à la rénovation de l’éclairage d’une partie de ses bâtiments communaux en installant des luminaires LED et en assurant une meilleure gestion de ceux-ci, par exemple avec l’ajout de détection de présence.
Enfin, elle prévoit la mise en consultation d’un plan directeur communal (PDCom) à l’automne prochain. Concrètement, ce plan se décline en quatre stratégies interdépendantes: «Carouge Paysage», «Santé», «Proximité» et «Sobriété». Quatre approches qui se déploient en mesures et projets concrets tels que la végétalisation, la production d’énergie renouvelable et aussi la rénovation et la construction exemplaire d’équipements publics.