Traversée de la rade: un schmilblick qui prend l'eau de toutes parts

Rédigé par
Tadeusz Roth
Canton & Communes

L’UDC relance l’idée d’une infrastructure pour rallier les deux rives de Genève, avec une traversée réalisée  au niveau du petit lac. De quoi interpeller les autres acteurs proches  d’un dossier qui semble insoluble. 

«Le Canton réalise une traversée sous-lacustre permettant de relier les deux rives de la Rade entre la route des Nations et celle de Malagnou.».Voilà ce dont rêve l’Union démocratique du Centre (UDC) qui lance une initiative constitutionnelle: «Ensemble traversons», défendue devant la presse il y a quelques jours. Son but? Tenter d’améliorer la situation actuelle en matière de mobilité à Genève. D’après le parti agrarien, le Canton doit investir pour pacifier les transports, tout en répartissant «équitablement» le réseau routier entre les différents usagers. De quoi «donner à chacun la fluidité et la sécurité dont il a besoin, en séparant autant que possible les flux et en complétant le réseau existant par la traversée de la Rade que les Genevois attendent depuis 120 ans», estime l’UDC. 
Pour les initiants, le projet permettrait d’éviter à de nombreux usagers de traverser la ville et de relier d’importants axes routiers. Un projet doté d’une triple fonction: «optimiser la moyenne ceinture en libérant le U lacustre, rendre leur Rade aux Genevois et permettre une jonction autoroutière rapide entre Malagnou vers la route Blanche et la route des Nations vers l’A1 via l’échangeur de Ferney». Et les trains? «Si le projet intéresse les CFF, une liaison directe entre la gare des Eaux-Vives et la gare de Sécheron serait possible », répond le parti. 
A l’origine du texte, on retrouve notamment le président de l’UDC Genève, Lionel Dugerdil, qui estime que son projet a également l’avantage de relancer le débat autour d’une traversée pour désengorger la ville. Mais pourquoi privilégier la rade, alors que le projet pour une traversée plus loin du centre, au niveau du «grand lac», semble plus porteur? «Réaliser une infrastructure au niveau de la Rade n’est pas antagoniste avec un autre projet plus loin. L’avantage, c’est que pour la variante que nous défendons, c’est nous qui décidons. Pour le lac, c’est Berne. Et la perspective déjà lointaine avant, s’éloigne votation après votation. Au regard de la situation lamentable à Genève en matière de mobilité, nous pensons que nous ne pouvons plus attendre et qu’il faut proposer des projets maintenant», résume Lionel Dugerdil. 
«Considérer les tracés» 
Du côté des acteurs économiques, qui suivent de près l’épineux dossier de la mobilité genevoise, on estime qu’il est encore trop tôt pour se prononcer sur ce texte. A l’image de la Fédération des entreprises romandes Genève (FER Genève), qui assure qu’elle tranchera sur la nécessité de cette nouvelle infrastructure au moment du dépôt de l’initiative. «Pour le faire, il faudra notamment considérer les tracés possibles, les coûts, l’impact des travaux nécessaires et les bénéfices qu’apporterait une telle infrastructure pour le trafic», détaille Erik Simonin, responsable politique mobilité auprès de la FER Genève. 
Pour autant, la fédération défend l’idée d’un canton qui investit en faveur de sa mobilité, essentielle pour le bon fonctionnement des entreprises de la région. «La forte croissance économique et démographique que connaît Genève implique de continuer à développer nos infrastructures pour répondre aux besoins, tant du côté des transports publics que du réseau routier. Aujourd’hui, la situation est problématique sur certains axes. D’ailleurs, nous regrettons les deux rejets dans les urnes du 24 novembre dernier pour de nouvelles infrastructures, qu’il s’agisse de la passerelle piétonne du Mont-Blanc ou de l’élargissement de l’autoroute A1 entre le Vengeron et Nyon», conclut Erik Simonin. 
Autre acteur central de la mobilité genevoise, le Touring club suisse (TCS) salue la volonté de faire évoluer une situation aujourd’hui problématique pour tous les usagers. Toutefois, l’association défend l’idée d’un véritable consensus autour d’un projet, derrière lequel tous feraient bloc. «A priori, le plus avancé est la traversée du lac, et non de la Rade, comme c’est inscrit dans la constitution et le plan directeur. A Genève, on se divise malheureusement régulièrement sur ce type d’infrastructure, au lieu de se réunir. Pour nous, il faut se mettre d’accord sur un projet et le défendre à Berne», résume Francois Membrez, président de la section genevoise du TCS. D’autant que pour améliorer la situation, le TCS préconise également d’autres approches, notamment en lien avec notre pays voisin: «Pour nous, la priorité est de trouver un moyen de limiter la part du trafic transfrontalier dans la mobilité individuelle motorisée. Il faut impérativement diminuer le nombre de voitures qui entrent à Genève depuis la France». 
Parallèlement, l’association milite en faveur des transports en commun, notamment le Léman Express, déjà victime de son succès. Une conception qui va de pair avec la réalisation de parkings relais, ce qui permettrait de laisser son véhicule proche de la frontière. «Tout projet qui donne de l’air à la ville est intéressant», gage François Membrez. 
Appel d’air?
Un avis très différent de celui de l’Association transports et environnement (ATE), qui défend une mobilité respectueuse du climat. Ici, on se dit opposé au principe de toute nouvelle traversée routière, qu’elle soit au niveau de la Rade ou au niveau du lac. «Pour nous, la proposition de l’UDC est nocive pour l’ensemble des ambitions environnementales du canton, car elle risque de provoquer un afflux massif de voitures. Nous sommes un canton restreint, avec un centre qui ne peut pas s’étendre. Si on continue à réaliser des aménagements, on va dans le mur», répond Caroline Marti, qui craint que de nouvelles infrastructures ne produisent un effet «appel d’air». 
Mais alors comment améliorer la situation actuelle, dont personne ne se satisfait véritablement?  «Nous pensons qu’il y a trop de voitures et qu’il faut faire baisser le nombre de déplacements en transports individuels motorisés, qui polluent et font du bruit. Si on veut régler le problème, il faut privilégier les moyens moins gourmands en espace, comme le vélo ou les transports publics. Pour ceux qui viennent de plus loin et ne peuvent renoncer à leur voiture, il faut des parkings», estime l’ATE. D’après la présidente, cette approche permettra à terme de favoriser les petits entrepreneurs, qui ont besoin de leur véhicule pour intervenir. «Aujourd’hui, ils souffrent. Toutefois, toutes les études montrent que réaliser de nouvelles voies de circulation attire forcément de nouveaux automobilistes et aggrave à terme la situation.»
Mais Genève n’a-t-elle pas besoin d’une véritable autoroute de contournement, pour éviter le pont du Mont-Blanc lorsqu’on doit passer d’une rive à l’autre? Un trajet d’ailleurs effectué par de nombreux habitants de Thonon et Evian, qui résident loin d’une gare. «L’autoroute de contournement existe déjà en partie, de même que le Léman Express. Mais il faut urgemment renforcer le rail, actuellement presque à saturation, et développer d’autres types d’offres», conclut l’ATE.

 

Vers une ceinture urbaine?

 Quatre questions au Département de la santé et des mobilités, chapeauté par Pierre Maudet.

Quelle est votre réaction au lancement de cette initiative par l‘UDC? 
Les études sur la traversée du lac se poursuivent comme prévu pour leur inscription dans les prochains programmes stratégiques de la Confédération. Par ailleurs, le Conseil d’Etat genevois vient de valider sa vision stratégique ferroviaire «Rail 2025-2050». Dans ce contexte, une traversée de la Rade est potentiellement envisagée. Les deux projets ne se situant pas au même endroit, ils n'entrent pas en conflit. 

De manière plus générale, le département considère-t-il que Genève a besoin de nouvelles infrastructures? Bien sûr, et les plans d'actions votés par le Grand Conseil à l'automne 2024 montrent que le département entend développer des infrastructures de mobilité, de tout type, afin d'améliorer la qualité des déplacements à Genève.

De nombreux acteurs estiment que la situation genevoise actuelle n’est pas satisfaisante. Partagez-vous ce diagnostic?
Le département a empoigné le problème dès le début de la législature, en commençant par convoquer les états généraux des mobilités en 2023. Résultats de cette grande concertation, les 5 plans d'actions, votés par le parlement en 2024, permettront de déployer des mesures concrètes pour renforcer l'offre et l'attractivité des transports publics, améliorer la fluidité du trafic sur la route et encourager, en les sécurisant, la marche et le vélo.

Du côté associatif, certains estiment que toute nouvelle infrastructure en faveur des voitures est à proscrire, risquant de faire «appel d’air». Qu’en pensez-vous? 
Lorsque le Canton construit des infrastructures, c'est pour libérer de l’espace au centre, améliorer la fluidité des transports publics et encourager les mobilités actives (marche et vélo). Le plan d'actions du réseau routier vise à concentrer la majorité des flux automobiles sur les autoroutes et la ceinture urbaine afin de réduire le trafic, en particulier des pendulaires, au centre. Il s'agit également d'améliorer la vitesse commerciale des transports publics, en les rendant prioritaires dans le trafic et en aménageant des voies qui leur sont réservées.

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