Bien connus des Genevois, ces hommes et ces femmes habillés en jaune tentent, tant bien que mal, de jouer le rôle des feux tricolores. Les automobilistes ne parviennent souvent pas à comprendre les ordres. Résultat: les situations dangereuses se multiplient.
«Stop! Lorsque je vous fais signe, vous vous arrêtez», hurle un homme, tout de jaune vêtu, à un automobiliste qui a un peu tardé à freiner à l’approche d’un carrefour. Derrière, une moto a été contrainte de piler les freins, puisque le signe de s’immobiliser a été donné de manière abrupte. Ce type de scène est à nouveau fréquent ces dernières semaines, aux abords de très nombreux carrefours de la ville, sans que l’on ne comprenne vraiment pourquoi. De Malagnou à Plainpalais, en passant par la Servette ou encore aux Eaux-Vives, de très nombreux feux de circulation ont été remplacés par des hommes et quelques femmes, debout au milieu des véhicules qui les frôlent. Equipés de petites baguettes qu’ils agitent dans les aires avec plus ou moins d’autorité, ils tentent de réguler le trafic, Résultat: les files de voitures s’allongent de manière totalement anarchique, parfois là où il n’y avait jusqu’ici aucun ralentissement connu. Ce lundi 3 novembre au matin, à presque 9h30, les bouchons sont interminables partout où ont été déployés ces agents, alors qu’ailleurs, la circulation est normale. «C’est un scandale. On se moque de nous», témoigne un automobiliste.
Heureusement, à certains rares endroits tout de même, le trafic semble quelque peu fluidifié, mais sans que cela ne saute aux yeux. Quoi qu’il en soit, en divers lieux, des conducteurs énervés klaxonnent, n’écoutent pas les recommandations, voire s’en prennent verbalement à cette signalisation humaine: «Quand vous faites des gestes, ce n’est pas clair! On ne voit même pas vers qui vous vous tournez!», s’emporte une mère de famille. Ailleurs, les ordres sont parfois tellement désorganisés que des situations dangereuses en résultent. Par exemple au croisement devant Uni-Mail, lorsqu’un agent autorise la file de voitures à s’engager, alors que son collègue posté de l’autre côté en fait de même avec les véhicules venant en sens inverse. Un scootériste évite de justesse la collision avec une voiture.
«Gilets jaunes»
Une situation qui provoque de nombreuses réactions, notamment sur les réseaux sociaux, à l’image du conseiller aux Etats Mauro Poggia qui s’interroge: «Avez-vous constaté comme moi le nombre de carrefours dont la signalisation lumineuse est actuellement remplacée à Genève par des «gilets jaunes» omniprésents, qui font de leur mieux pour éviter le chaos? Et le nombre de chantiers ouverts ne semble pas toujours en être l’explication. Alors, en tant que contribuable et citoyen, je me pose des questions: combien cela coûte-t-il quotidiennement, et la facture est-elle répartie entre le Canton et la Ville? Comment ces entreprises ont-elles été sélectionnées et qui les dirige? Quelles conditions a-t-on posées en termes d’horaires de travail et de rémunération? A-t-on exigé que les demandeurs d’emploi genevois, y compris les étudiants recherchant un travail accessoire soient engagés en priorité? Quelle est la proportion de travailleurs frontaliers au sein de ces régulateurs de trafic?»
A gauche de l’échiquier politique, certaines voix s’indignent également. Ancien président de la section genevoise du parti socialiste, Gérard Deshusses n’y va pas par quatre chemins: «C’est scandaleux! Ce n’est pas aux contribuables de payer, mais aux maîtres d’œuvre des différents chantiers!»
Pourtant, force est de constater que ces agents de circulation sont également déployés sur des carrefours sans travaux, à des heures où la circulation n’est plus très dense. Ainsi, il n’est en effet plus rare d’en apercevoir assis sur une chaise.
Mais qui sont ces fameux agents? Sur leurs gilets, on aperçoit notamment régulièrement les sigles GMS ou GS, qui renvoient à des entreprises privées. D’après la Tribune de Genève, qui s’est intéressée à ce phénomène au début de l’année, une trentaine de sociétés proposeraient ce type de service.
Formation
Sur leur site Internet, on en apprend plus sur cette activité. A l’image de «GMS-service», qui détaille qu’il est possible de s’inscrire pour une «formation rapide afin de devenir Agent de régulation du trafic à Genève». Il est également stipulé qu’«aucun prérequis» n’est nécessaire, ni «aucune expérience».
La formation, qualifiée «d’intensive», dure en réalité… trois jours. Au programme: théorie et pratique, ateliers dirigés et préparation aux situations réelles. Sont également prévus un examen blanc, ainsi qu’une «formation terrain» avec la Police cantonale. Heureusement, un examen officiel est nécessaire (après une immersion sur le terrain), afin d’obtenir une attestation censée permettre d’exercer en toute légalité. «Ce programme vous permet d’être rapidement opérationnel, tout en garantissant un haut niveau de professionnalisme», assure l’entreprise.
Toutes entreprises confondues, les mandats pourraient atteindre plusieurs centaines de milliers de francs, hormis pour la rénovation des carrefours, des chiffres confidentiels d’après La Julie.
Interrogé, le Département de la mobilité défend son approche, mais sans rentrer dans les détails. Pourquoi ces agents sont-ils déployés? «La décision de privilégier une régulation par des agents de circulation ou par des feux provisoires est prise par l’Office cantonal des transports, et dépend de différents paramètres liés au contexte du chantier. S’il ne dure par exemple que quelques jours, ou si le carrefour inclut plusieurs voies et sens de circulation, on ne pourra pas installer des feux provisoires et on privilégiera les agents», résume Sébastien Deshusses, responsable de la communication. Côté coût, le Département dirigé par Pierre Maudet nous renvoie vers les entreprises chargées des travaux, lorsqu’elles sont responsables d’un chantier en question. «Le financement de la prestation des agents de circulation est de la responsabilité du maître d’ouvrage du chantier. La décision de remplacer la signalisation lumineuse par des agents de circulation est prise par l’OCT, la Police est l’organe cantonal compétent pour la formation et le contrôle des agents de circulation», répond encore le Département.
Et les chantiers de l’Etat?
Et pour les carrefours rénovés par l’Etat lui-même? Aucune réponse ne nous est fournie. Rien non plus sur la formation de ces agents, sur le choix des entreprises, sur le nombre d’agents déployés actuellement ou encore sur les différentes conditions en termes d’horaires ou de rémunération. Pourtant, d’après nos informations, les coûts s’élèveraient à deux mandats de 90'000 francs par an, sur une période de quatre ans.
Malgré les promesses d’explications détaillées, le Département de la santé et des mobilités renonce finalement à nous éclairer. Il évoque simplement un problème de communication avec la Police genevoise, à qui il a délégué une partie de la gestion de ce dossier.