
Le chômage prend l’ascenseur frappant particulièrement l’horlogerie et les services liés à la Genève internationale, comme le nettoyage et la sécurité. Face à cette crise, l’Office cantonal de l’emploi (OCE) renforce ses équipes et adapte ses mesures d’accompagnement. Tandis que la Caisse cantonale de chômage revoit sa gouvernance après le départ forcé de sa direction. Interview de Delphine Bachmann, conseillère d’Etat chargée de l’Economie et de l’Emploi.
GHI: Le taux de chômage se situait à 4,5% fin juin 2025 et pourrait dépasser les 5% en décembre. Quels secteurs sont le plus touchés?
Delphine Bachmann: La Suisse n’est pas épargnée par le ralentissement de l’économie mondiale. De plus, le canton subit de plein fouet la crise de la Genève internationale. Une des conséquences est la progression du chômage qui s’établit à 4,9% pour fin septembre. Le secteur le plus touché est celui de l’horlogerie. Mais certaines branches font aussi directement les frais des licenciements de la Genève internationale, je pense par exemple au secteur du nettoyage ou encore à celui de la sécurité. Cette situation est préoccupante. C’est pourquoi, nous avons rapidement renforcé nos capacités de réponse pour faire face à cette crise en augmentant le nombre de conseillers en personnel. Je suis persuadée qu’en matière de chômage, il faut agir vite et efficacement.
L’Office projette une image de «labyrinthe» ou d’un système où il est difficile de naviguer pour les demandeurs d’emploi? Est-ce un point que vous souhaitez améliorer?
La qualité de l’accompagnement des personnes au chômage est une priorité permanente, et nos équipes font tout pour concilier bienveillance, efficacité et respect des règles. Je vous l’annonce d’ailleurs, en primeur, l’OCE a lancé une enquête inédite pour mieux comprendre les besoins des chômeurs et des chômeuses (voir encadré).
Des témoignages recueillis par les syndicats notamment affirment que la priorité de l’Office est placée sur les chiffres et peu sur l’accompagnement? Cette situation résulte-t-elle de la pression exercée par le Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO)?
L’action de l’Office cantonal de l’emploi s’inscrit effectivement dans l’application de la foi fédérale sur l’assurance chômage. Nous sommes donc tenus d’agir dans un cadre assez rigide. Recevoir des indemnités chômage implique certaines obligations. Prononcer des sanctions permet d’amener une forme d’équité pour ceux qui jouent le jeu face à ceux qui ne le font pas. Cela dit, nous avons des marges de manœuvre et nous les utilisons pleinement dans l’application du barème des sanctions. Par exemple, lorsqu’un chômeur refuse de prendre un travail qui correspond à son profil, l’OCE suspend ses indemnités pendant 31 jours alors que la loi fédérale autorise à aller jusqu’à 60 jours. Pour des retards dans les postulations, c’est de 5 à 9 jours. Il s’agit de toujours effectuer une pesée d’intérêts, car les conséquences financières peuvent être lourdes.
Le directeur et le chef du service financier de la Caisse cantonale genevoise de chômage ont récemment été mis à pied. Quel changement ces départs vont-ils induire?
Les constats du service d’audit interne étaient suffisamment graves pour devoir prendre des mesures, ce que j’ai fait. Il faut rappeler que les activités de la Caisse cantonale de chômage sont complémentaires au travail de l’OCE. La Caisse est là pour verser les indemnités chômage aux demandeurs d’emploi. Ma priorité est désormais d’améliorer la gouvernance pour que la délivrance des prestations soit juste et efficace.
Concernant l’aide fournie pour le retour à l’emploi, combien votre Département affecte-t-il pour les diverses formations (mise à niveau, etc.)? Certaines critiques affirment que ces formations ne sont pas adaptées aux besoins des chômeurs et du marché du travail. Que leur répondez-vous?
L’accompagnement des demandeurs d’emploi s’articule autour de deux volets complémentaires. Premièrement, des mesures qui visent à améliorer la capacité des chômeurs à faire des recherches d’emploi. Deuxièmement, des formations dans le but d’adapter leur profil aux besoins réels du marché de l’emploi. Ce processus, sur mesure, se fait dans le cadre d’un échange constant avec un conseiller en personnel. Une étude menée par le SECO démontre que cela fonctionne: 86% des demandeurs d’emploi genevois estiment que ces mesures sont utiles. Parmi les formations, on peut citer, Talkto une toute nouvelle mesure, qui permet de s’entraîner à la prise de parole. Ou encoreDigitalizers qui favorise l’acquisition des compétences métiers liées à la transformation digitale, comme par exemple l’intelligence artificielle.
Combien coûtent ces différentes formations?
Toutes les formations mises à disposition représentent un budget d’environ 40 millions par année financés par la Confédération.
Quels sont les grands changements que vous avez apportés depuis votre arrivée au Département?
Depuis mon arrivée, toute mon action est dirigée vers la réinsertion durable des chômeurs sur le marché de l’emploi. Pour y parvenir, l’objectif est de rendre leurs profils davantage compatibles avec les besoins des entreprises, comme le prévoit le plan directeur de l’employabilité. Il s’agit d’une réforme fondamentale, portée par mon Département, ceux de la cohésion sociale (DCS) et de l’instruction publique (DIP) ainsi que les partenaires sociaux.
Il faut à tout prix éviter les ruptures dans les parcours professionnels. Plus longtemps on se trouve sans emploi, plus il est compliqué d’en retrouver un. Une des clés est la formation tout au long de la vie professionnelle. Un changement de mentalité est nécessaire, car on n’exerce plus le même métier toute sa vie. Etre en formation continue à l’âge de 50 ans doit devenir la règle et non plus l’exception.
Savez-vous si l’IA est déjà à l’origine de cas de chômage?
L’intelligence artificielle transforme le rôle de l’humain mais ne le supprime pas nécessairement. Et puis l’IA crée de nouvelles opportunités et donc de nouveaux métiers et de nouveaux postes de travail.
Le rôle clef du conseiller en personnel
RED • Le Département de l’économie et de l’emploi a lancé une enquête inédite pour mieux comprendre les besoins des chômeurs et chômeuses. Ainsi 45 demandeurs et demandeuses d’emplois ont accepté de participer à une enquête voulue par l’OCE et menée sous la houlette de Genève Lab, organisme de l’Etat qui accompagne les processus de changements et d’innovation. Il en est ainsi ressorti que l’expérience interpersonnelle entre un demandeur d’emploi et son conseiller en personnel était déterminante, mais que le rôle de ce dernier n’était pas toujours clair. Une tension existe entre sa casquette de soutien (écoute, encouragement et motivation) et celle de contrôleur (sanctions, vérification des obligations). Ces données ainsi récoltées, il va s’agir de proposer des changements afin de permettre une meilleure prise en charge des chômeurs et chômeuses avec une plus grande satisfaction à la clé et un meilleur retour à l’emploi.