Des élus communaux appellent à l’aide

Rédigé par
Adélita Genoud et Tadeusz Roth
Canton & Communes

Les représentants politiques des petites municipalités se heurtent à la complexité croissante des dossiers. Ils réclament une formation accrue. Le système de milice est-il à bout du souffle?

«Nous ne serions pas contre un coup de pouce». Cette confidence, c’est celle de nombreux élus locaux. D’Avusy à Chancy, en passant par Gy et Soral, conseillers municipaux et administratifs font face à une tâche dont la complexité ne cesse de croître. «Les communes ont de plus en plus de prérogatives. Cela donne le sentiment que le Canton se décharge sur nous, mais sans octroyer l’accompagnement nécessaire», explique Alexandre Sizonenko, président du conseil municipal de Gy (sortant). Qui rappelle que les élus locaux sont des miliciens, n’ayant pas nécessairement les compétences administratives, financières et juridiques pour certains dossiers.
Une réalité qui risque de perturber le bon fonctionnement des certaines municipalités notamment les plus petites. C’est notamment le cas pour l’attribution de mandat et le coût de travaux: «Aujourd’hui, les mises en concurrence ne sont pas toujours faites dans les règles, que ce soit pour construire une route, pour rénover un bâtiment ou concernant l’adjudication pour des prestations récurrentes. Pourtant, un simple appel d’offres permettrait souvent de réaliser d’importantes économies. Si le réflexe est absent alors il faudrait imposer des seuils beaucoup plus bas pour lesquels une mise en concurrence deviendrait obligatoire. Sinon, l’argent des contribuables, qui nous ont fait confiance en nous élisant, n’est pas correctement géré!», s’alarme-t-il.
Pour y remédier, Alexandre Sizonenko préconise des formations pour les élus locaux ainsi qu’un encadrement accru. «Plus de cours permettant de mieux appréhender les différentes lois, règles administratives et gestion comptable sont nécessaires. Pourquoi cet enseignement ne serait-il pas dispensé par la Cour de la Cour des comptes qui serait certainement davantage sensibilisée à la réalité du terrain?».
Autre piste avancée: bénéficier de davantage de ressources humaines, émanant notamment du Canton, qui pourrait soutenir les communes sur certains dossiers spécifiques. «Nous pourrions disposer d’experts, prêts à se déplacer dans les communes, à appeler en cas de besoin», suggère Alexandre Sizonenko. Enfin, l’Association des communes
genevoise (ACG) est également appelée à la rescousse (lire encadré). «Elle ne nous aide que très rarement. Pourtant, avec son expertise, elle devrait apporter un support de travail et de compétences. La seule fois où je l’ai sollicitée, un responsable m’a répondu que l’ACG était au service des Exécutifs communaux et non des législatifs».
Les petites communes sont-elles à bout de souffle? L’aide qu’Alexandre Sizonenko appelle de ses vœux n’est-elle que la partie visible des difficultés auxquelles sont confrontés les femmes et les hommes qui s’engagent?
Limites du système de milice?
Le Dr Andrea Pilotti, maître d’enseignement et de recherche à l’Institut d’études politiques et à l’Observatoire de la vie politique régionale de l’Université de Lausanne (UNIL), l’affirme: «La formation des élus est une question d’autant plus pertinente que la chose publique dans les communes est devenue plus complexe. Même si d’aucuns demeurent arc-boutés à la rhétorique selon laquelle un système de milice comme le nôtre ne peut se professionnaliser sans affecter son essence même. Ils restent dans le mythe qu’un élu peut faire face à tous les défis qu’implique l’exercice de mandats, tant au niveau délibératif qu’exécutif. Il y a quelques années, des élus municipaux démissionnaires dans les cantons de Vaud et de Fribourg reconnaissaient leurs difficultés à maîtriser certains sujets. »
A cet égard, ce sont les représentants des petites communes qui sont le plus souvent confrontés à cet écueil. Pour le chercheur, en effet: «Ils n’ont pas la possibilité de s’appuyer sur des administrations, contrairement à leurs collègues des grandes communes qui peuvent bénéficier de l’aide de fonctionnaires très expérimentés.»
Un seul mandat
Sans compter la profonde mutation du contexte socio-économique, qui rend l’exercice politique plus âpre. Il y a un manque de reconnaissance, une tendance à fustiger les politiques, arrimée au fameux «tous pourris». Pour le chercheur: «Il n’est pas rare, dès lors, que des conseillers municipaux, communaux ou administratifs ne fassent qu’un seul mandat, las d’être sans cesse sur le gril. Et ce qu’ils ont acquis durant la législature est, en quelque sorte, perdu pour la collectivité. »
A l’autre bout du spectre, du côté des défenseurs purs et durs de la politique de milice, on avance que c’est du côté de la multiplication des règlements qu’il faut agir. «Cette vision libérale de l’Etat plaide pour une simplification de l’organisation, en expurgeant l’arsenal législatif», relève encore l’universitaire.
Fusionner des petites communes pour créer une masse critique afin que les élus puissent disposer d’un appareil administratif plus conséquent? «Bon nombre de cantons romands sont même passés à l’acte. Je pense notamment au Tessin, qui ne compte plus que 100 communes (contre 245 en 1990) et qui a l’intention de poursuivre cette décrue. Tandis qu’au 1er janvier 2023, le canton de Vaud abritait 300 communes. Elles étaient encore 383 vingt ans plus tôt.»
Alors, Andrea Pilotti postule que, pour parvenir au juste équilibre entre une politique qui ne repose pas sur des professionnels mais dont la pratique est facilitée, il faudrait sans doute couper la poire en deux. Autrement dit, imaginer un système permettant de concilier vie professionnelle et engagement politique.
Rester ancrés dans la réalité
C’est là aussi l’avis de Maryam Yunus Ebener, présidente de l’Union des villes genevoises (UVG). «Il est important, pour ne pas dire fondamental, que nous conservions notre organisation publique. Avoir une activité professionnelle permet aux élus de ne pas être déconnectés de la réalité. Pourtant, cette double activité est chronophage et freine peut-être des jeunes parents. Auquel cas, la représentativité est affectée. L’idéal serait de pouvoir diminuer la première et percevoir une rétribution communale compensatoire.»
La conseillère administrative (réélue) d’Onex reste aussi convaincue qu’une formation permettant de mieux faire face aux impératifs d’un mandat politique est indispensable. «Au vu de la complexité des dossiers, nous former demeure primordial. J’ai, pour ma part, suivi les sessions mises en place par l’Association des communes genevoises lors de mon premier mandat et j’ai la ferme intention de m’inscrire aux prochaines séances.»
Un nouvel éventail d’outils
Le Département des institutions et du numérique (DIN), ministère de tutelle des communes, constate lui aussi une complexification de la politique, responsable d’une «tension compréhensible avec notre système de milice». Pour le Département, des actions sont bel et bien nécessaires. «Au niveau communal, l'appui premier devrait être fourni par l'administration communale mais ce n'est pas toujours évident en fonction de la taille des communes», indique Laurent Paoliello, directeur de la coopération et de la communication. Qui rappelle que d’autres outils existent. «Pour le surplus, le département développe en vue de la nouvelle législature un dispositif supplémentaire pour les futurs élus avec notamment: newsletter, Foire aux questions (FAQ) sur le site de l'Etat et deux vademecums (publiés à la fin du mois) rappelant le cadre légal et réglementaire de l'action des Conseillers administratifs et des Conseillers municipaux», conclut le directeur. 

 

Des formations gratuites

Quelles formations l’Association des communes genevoises propose-t-elle aux élus? Le point avec sa présidente, Karine Bruchez.
«Depuis 2008, des formations gratuites sont accessibles aux membres des Exécutifs et des délibératifs. Elles couvrent des contenus thématiques et techniques. Bien que non obligatoires, elles sont très fréquentées, notamment en raison de la qualité et de la pertinence des contenus et des intervenants, parmi lesquels figurent des conseillers, des fonctionnaires cantonaux et des professionnels reconnus. Elles débutent à chaque législature par deux séances plénières réunissant ces deux publics autour du thème de la place de la commune dans le système institutionnel genevois, abordé à la fois sous l’angle du cadre légal des institutions et celui de l’aménagement du territoire.
Par ailleurs, un cycle de formations destinées exclusivement aux membres des Exécutifs municipaux, permet de se familiariser avec des notions de base en droit administratif, finance et gestion publique, ou encore avec la loi sur l’information du public, pour ne citer que quelques-uns des domaines de responsabilité auxquels ils sont confrontés.»
 

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