Juteux, les sites «Airbnb» font vaciller le parc locatif

Rédigé par
Tadeusz Roth
Canton & Communes

HABITAT • Le phénomène Airbnb bouscule les équilibres du logement en Suisse romande. La multiplication de ces hébergements exerce une forte pression sur le marché locatif et concurrence l’hôtellerie traditionnelle. Le manque de contrôle inquiète les associations de défense des locataires et les professionnels du tourisme.

Le phénomène Airbnb bouscule les équilibres du logement en Suisse romande. La multiplication de ces hébergements exerce une forte pression sur le marché locatif et concurrence l’hôtellerie traditionnelle. Le manque de contrôle inquiète les associations de défense des locataires et les professionnels du tourisme. Etat des lieux.
Elodie, la trentaine, réside à Nyon dans un appartement de 4 pièces. Depuis deux ans, elle met son logement à disposition des voyageurs via Airbnb pendant la haute saison touristique. Cette activité lui permet de générer environ 2500 francs de revenus supplémentaires par été. Il est vrai dit-elle, que les activités lacustres et les événements culturels organisés dans la cité romaine séduisent de nombreux touristes. D’ailleurs, la jeune femme qui, grâce à cette manne, s’envolera en septembre vers un atoll du Pacifique, n’est pas la seule à louer son home sweet home. Toutes les villes lémaniques semblent drainer un grand nombre d’amateurs de logements saisonniers.
Deux poids, deux mesures
Mais si le système permet aux usagers de mettre du beurre dans les épinards, il n’est pas sans incidence sur le marché immobilier et sur les structures d’hébergement professionnelles. Comme le relève Adrien Genier, directeur de Genève Tourisme: «Plusieurs obligations légales concernant la sécurité, le droit du travail, l’hygiène, ou le respect de la sphère privée ne sont, par exemple, pas aussi exigeantes que celles appliquées aux hôteliers. Le cadre législatif est certes clairement défini quant à la durée d’exploitation maximum et à l’obligation de s’acquitter de la taxe de séjour. Mais la surveillance et les contrôles de leurs applications peuvent être sensiblement améliorés.»
Parc locatif siphonné
Et au-delà du secteur de l’hôtellerie quel est l’impact du concept d’Airbed and Breakfast made in USA? Christian Dandrès le dit sans détour :  «Sous l’angle du logement, les plateformes siphonnent le parc immobilier locatif en transformant une partie de celui-ci en locaux commerciaux. Ceci participe à réduire le nombre de logements disponibles pour l’habitation». 
L’avocat de l’Association de défense de locataires (Asloca) rappelle qu’à Genève, la LDTR – principale loi de protection des locataires – ne permet pas de transformer un appartement en local commercial (prestations hôtelières). «J’avais déposé une motion au Grand Conseil genevois qui avait ouvert une discussion avec le Conseil d’Etat. Le règlement d’application de la LDTR avait été modifié pour permettre les locations sur des plateformes, mais pas plus de 90 jours par an. Cette durée, correspondant à peu près aux vacances scolaires, permettait aux locataires de réduire un peu leurs factures de loyers tout en empêchant de soustraire complètement des logements au parc immobilier locatif d’habitation.» 
Alors? Si l’arsenal législatif est en place, chacun y trouve son compte? Pas tout à fait. «Le problème est que l’Etat ne fait aucune démarche pour assurer le respect de cette loi. En pratique, l’administration intervient lorsque des cas sont dénoncés. Ce n’est pas acceptable. Il faudrait que les autorités demandent des données aux plateformes pour assurer l’application du droit. Et puis, il est aussi possible de faire une surveillance sur les cas - il n’y en a pas des milliers - où les appartements sont loués presque toute l’année sur Airbnb», insiste l’avocat de l’Asloca.
Explosion des locations
De l’autre côté de la Versoix, le business a littéralement explosé. Début 2017, 1830 objets (logements entiers ou partiels) étaient mis à disposition sur Airbnb dans le canton de Vaud. Ce chiffre a atteint 5286 objets au même trimestre en 2024, et 5655 à ce jour. Soit une hausse de 200%.  «C’est la raison pour laquelle le canton de Vaud a légiféré en 2022, en instituant notamment la règle des 90 jours. Elle dispose que toute personne qui met en location un logement via une plateforme de type Airbnb pour une durée prévue de plus de 90 jours par année civile (de manière consécutive ou ponctuelle) doit préalablement obtenir une autorisation de changement d’affectation. Laquelle demande doit être soumise à la Direction cantonale du logement par l’intermédiaire de la commune du lieu de situation de l’immeuble, qui est autorité de préavis», détaille Julien Rilliet, responsable communication de l’Association des locataires du canton de Vaud. Et d’ajouter, à toutes fins utiles que la location via le système Airbnb est assimilée à une sous-location. «Elle nécessite donc impérativement l’accord préalable du bailleur. Ce dernier dispose de 30 jours pour se prononcer. En cas d’omission, le locataire s’expose à une résiliation de son bail.»
Cependant, il faut savoir que contrairement à l’idée reçue, la location sur Airbnb est essentiellement pratiquée par les bailleurs ou des sociétés, et non par les locataires particuliers. Une situation qui péjore un marché locatif déjà sous tension.
Rendements locatifs XXL
«Des appartements entiers ne sont plus accessibles aux ménages souhaitant s’établir durablement dans le canton, en particulier à Lausanne. Ce phénomène entraîne deux conséquences principales. Tout d’abord, une raréfaction des logements disponibles à la location longue durée, ce qui accentue la pénurie et pousse les loyers à la hausse. Ensuite, des rendements locatifs bien supérieurs à ceux autorisés par le droit du bail: on observe, par exemple, des loyers mensuels équivalents à 6189 francs pour un 3.5 pièces», reprend Julien Rilliet. Si la loi cantonale encadre désormais cette pratique, sa mise en œuvre repose sur les communes. Or, la majorité d’entre elles n’ont pas encore défini les moyens nécessaires pour faire respecter ces dispositions.
Reste à savoir si les mesures légales adoptées pourront s’appliquer afin de prévenir les dérives d’un modèle, certes encore relativement récent. 

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