
INSTRUCTION • Introduit dans certaines écoles du canton, le programme «Silence on lit!» a pour but de redonner le goût de la lecture aux élèves. Mais ce projet ne fonctionne pas partout comme espéré.
«Ça ne fonctionne pas. Les élèves dorment sur leur bureau.» Les mots de Martine*, enseignante genevoise, sont sans appel. Depuis 2017, le Département de l’instruction publique (DIP) propose, sur base volontaire, aux écoles genevoises d’introduire le programme «Silence on lit!».
Le principe est simple. Chaque jour, durant quinze minutes, toute l’école concernée s’arrête pour lire. Elèves, corps enseignant et membres du personnel administratif sont censés ouvrir un livre de leur choix lors du temps imparti. Le but: promouvoir et donner le goût de la lecture aux élèves. Actuellement, plus de 50 établissements des trois degrés d’enseignement appliquent ce programme.
Mais dans la pratique, les résultats sont contrastés. L’adhésion des élèves, notamment des plus âgés, s’avère difficile et certains enseignants se montrent critiques envers ce projet. «Le premier mois, tout le monde a joué le jeu. Mais cela s’est vite dégradé. Avec le temps, je n’ai eu plus que trois étudiants de ma classe qui lisaient. Les autres refusaient de le faire. Pourtant, ils étaient considérés comme studieux», explique Martine, qui enseigne du secondaire II.
Lire à haute voix
Martine n’est pas la seule dans cette situation. «Sur mes 40 élèves, cinq amènent de la lecture personnelle et une dizaine lisent leur livre de cours. Les autres regardent par la fenêtre», explique Juliette*, enseignante au secondaire II également. Elle relève que les élèves qui prennent part à ce programme sont ceux qui pratiquent déjà la lecture dans le cadre familial.
Le constat est plus dur pour sa classe d’école de commerce où aucun de ses élèves n’apporte son bouquin. «Même s’ils ne participent pas, le point positif est que ce moment arrive en début de cours. Cela permet de gagner en tranquillité pour le reste de la leçon», soulève-t-elle.
Face au désengagement des jeunes, Martine raconte qu’une collègue a pris l’initiative de lire elle-même à haute voix. «Je trouve choquant de lire une histoire à des adolescents de 17 ans. Le goût de la lecture se transmet selon moi bien plus tôt», affirme-t-elle.
Redonner le goût de la lecture
Mais certains enseignants dressent un constat plus optimiste. Paul*, qui travaille dans le secondaire II, explique aimer ce moment. «Dans ma classe, les trois quarts de mes élèves lisent. Et ceux qui ne le font pas sont forcés d’attendre. Cela crée une période de calme bienvenue pour la suite du cours», note-t-il. Selon lui, la moitié de ses collègues soutient ce programme.
Marc* se montre lui aussi très enthousiaste vis-à-vis de «Silence on lit!». Il a réussi à redonner le goût de la lecture à ses élèves du Cycle d’orientation. Certains ne lisaient pas du tout, d’autres faisaient semblant. «Pour y arriver, j’ai dû aller chercher des livres à la médiathèque. J’ai sélectionné des bouquins faciles à lire avec peu de mots par page. Et ils ont croché», affirme-t-il. Il reconnaît néanmoins que sa mise en œuvre peut être améliorée et qu’il fait partie d’une minorité, parmi ses collègues, à défendre ce programme.
Quant au Département de l’instruction publique, il se montre satisfait du projet, qu’il juge positif. «Nous constatons que dans de nombreux établissements, «Silence on lit!» fonctionne extrêmement bien et apporte de multiples avantages, qu’il s’agisse de l’apprentissage de la lecture, de la concentration, ou encore du climat d’établissement», déclare Claire Alhanko, chargée d’information et communication.
La faute des réseaux sociaux
Pour Juliette, le refus de lire s’explique avant tout par une perte de compétence fondamentale. «J’ai le sentiment que les jeunes ne savent plus lire. Ils n’arrivent plus à mobiliser leur imagination. Le format mis en place ne répond pas à leurs besoins», estime-t-elle.
Martine pousse la réflexion plus loin. Selon elle, si les jeunes délaissent la lecture, c’est en grande partie à cause des réseaux sociaux et des téléphones portables. «Lire demande un effort, alors que faire défiler du contenu sur Instagram n’en exige aucun.»
Si le programme «Silence on lit!» divise, il met en lumière une question plus large: comment réconcilier les adolescents avec la lecture à l’heure de l’omniprésence des écrans? Une réflexion que l’école seule ne peut porter.
*Prénoms d’emprunt