
Selon l’Office fédéral de la santé publique, 1500 patients suisses décèdent chaque année à la suite d’une erreur médicale. Etablir une faute ou une négligence relève du parcours du combattant.
Combien d’erreurs médicales surviennent dans les hôpitaux de notre région? Les Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) enregistrent entre quarante et soixante doléances par an. Le Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) en dénombre une centaine. Sur le site statistique fédéral, on indique 1500 décès par an, mais sans distinction, ce qui signifie que cela concerne les cabinets, hôpitaux et les cliniques. Au regard du nombre de personnes qui meurent en Suisse chaque année – au total 70’000 – cela représente environ 2%. Reste que chaque cas, chaque situation est douloureuse.
Quelles définitions
Quelle est la nature des erreurs médicales? Les HUG clarifient le contexte et parlent de «réclamation concernant la qualité d’une prise en charge médicale». Du côté du CHUV, les patients évoquent plutôt des «violations des règles de l’art ou de négligence au niveau des soins». Le Centre hospitalier vaudois précise que ces violations ou négligences avérées représentent 10% des doléances et dix autres pour
cent laissent planer un doute. Cela conduit à une expertise externe.
Que peut-il se passer? On parle des risques inhérents à la prise en charge clinique ou parfois de l’évolution d’une pathologie malgré les soins. «Les erreurs pouvant contribuer à un décès sont variées: erreur de médication, infection nosocomiale évitable, retard de diagnostic ou erreur de procédure», indiquent les Hôpitaux universitaires de Genève. Le CHUV va plus loin: «Il peut s’agir d’une erreur de diagnostic dont découlerait un retard d’examen ou de traitement, un retard dans la prise en charge, des erreurs de prescription ou d’administration de médicaments, mais aussi d’une erreur d’évaluation d’une situation, de complications non détectées ou avec retard.»
La suite pour les patients
Les deux établissements ont une procédure pour traiter les demandes. Cela passe par la médiation, le service qualité, le service juridique, et bien sûr les médecins concernés. Les directions médicales et des soins sont consultées. Dans les cas litigieux, douteux, une expertise indépendante peut être requise avant de solliciter les assurances. Le parcours se révèle parfois déstabilisant pour les proches.
Cette situation a conduit Karima Kassam à créer une société de conseils et de défense des droits des patients, SOS droits des patients Sàrl. Laquelle est déjà intervenue dans toute la Suisse romande. «Dans 70% des cas que nous avons traités, il n’y a pas d’erreur médicale. Pour que celle-ci soit avérée, il faut qu’il y ait un acte illicite, une faute de prise en charge, un dommage, un lien de causalité manifeste.» Il s’agit la plupart du temps de risques inhérents à une intervention ou un traitement, une complication, un aléa connu pouvant survenir même si les soins ont été correctement réalisés.
Que faire dans la pratique?
L’expérience de Karima Kassam lui a appris que les patients et leurs familles se sentent souvent désemparés ne sachant pas quelle procédure engager. «Ils s’adressent souvent à un avocat. Or, il vaut mieux commencer par réclamer une copie intégrale du dossier médical. Dans la pratique, les patients en reçoivent une version très partielle: une dizaine ou une quinzaine de pages. Pourtant, un tel document complet peut contenir entre 100 et 2500 pages ou plus, en fonction de la complexité de la prise en charge.
En clair, il convient de savoir ce qui est nécessaire à fonder une opinion, et souvent les médecins eux-mêmes ne savent pas quelles pièces fournir.»
Compensation financière
Lorsqu’une erreur médicale est avérée, elle ouvre potentiellement le droit à des compensations financières. «Plusieurs types de préjudices peuvent être reconnus: le tort moral, qui correspond à la souffrance physique et psychique endurée; le tort d’agrément, lié à l’impossibilité d’accomplir certaines activités quotidiennes, comme se laver, faire le ménage; ou encore la perte de gains, si l’atteinte à la santé a entraîné une incapacité de travail. Quand on soupçonne une erreur, malgré l’incompréhension, puis la révolte ressentie, il convient de faire la part des choses et d’agir avec rigueur et bon sens. Ce qui, de toute manière, n’est facile pour personne.»
Des exemples édifiants
La fondatrice de SOS droits des patients livre trois cas qui lui ont été soumis.
Une femme se présente pour une intervention a priori simple: le retrait d’une petite tumeur au poumon par thoracoscopie, une technique peu invasive censée laisser trois petites incisions. Pourtant, à son réveil, elle découvre un large pansement dans son dos: une cicatrice de près de 30cm. Au cours de l’intervention, un incident grave est survenu. L’anesthésiste a inséré une sonde bronchique de manière trop profonde. Le chirurgien, ne s’en rendant pas compte, a terminé l’opération et agrafé une partie du poumon… avec la sonde encore en place. Résultat: il a fallu ouvrir le dos et enlever un tiers du poumon. Le choc a été rude pour la patiente, d’autant plus affectée qu’elle n’a reçu aucune information.
Autre exemple: une danseuse a besoin d’une nouvelle prothèse de la hanche. Celle qui est en place est défectueuse, elle entraîne une nécrose. Plusieurs opérations sont nécessaires et l’artiste se retrouve en fauteuil roulant. L’erreur? Que les spécialistes de l’hôpital n’aient pas contrôlé la prothèse, faisant aveuglément confiance au fabricant, qui ne l’avait pas contrôlée non plus. Sans reconnaissance de responsabilité, l’hôpital avait proposé une indemnité de 2000 fr. En faisant la procédure complète, elle en a obtenu 200’000…
Un ouvrier a un accident de chantier. Il souffre d’une fracture. Mais deux jours tard, il décède. Y a-t-il eu un acte répréhensible? Sa compagne s’insurge et entreprend les démarches pour voir s’il y a lieu d’attaquer l’établissement hospitalier. Or, non, l’homme en était au stade terminal d’un cancer, ce que l’hospitalisation a révélé. Il ne voulait pas que son épouse le sache. En comprenant ce fait, grâce au dossier médical complet, l’épouse a pu faire son deuil.