Factures médicales exorbitantes: «On nous prend pour des dindons!»

Rédigé par
Tadeusz Roth
Genève

COUP DE MASSUE - Après une consultation en ambulatoire, de nombreux Genevois dénoncent les prix pratiqués par les établissements privés et publics. Les professionnels de la santé justifient leurs honoraires.

«Plus de 1100 francs pour une égratignure à la jambe, facturée par une permanence au centre-ville. On se moque vraiment de nous. Même si mon assurance va tout rembourser, je trouve ça inadmissible!», témoigne un retraité genevois après une mauvaise chute.  «Je suis tombée dans les escaliers et je n’ai eu que des blessures superficielles. Après mon passage aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), j’ai reçu une facture de presque mille francs. En examinant le document en détail, j’observe un montant de neuf francs pour des gants stériles et trois francs pour un set de pansements. C’est un scandale», abonde Fanélie.
«J’ai 75 ans, et j’ai constaté qu’on me surfacture en raison de mon âge. Pourtant, j’ai la condition physique d’une personne de 60 ans. C’est de la discrimination pure et simple. D’après moi, c’est même une des causes de l’explosion des coûts de la santé, qui se répercute sur nos primes d’assurance maladie», avance Pascal, qui s’est rendu plusieurs fois dans une autre permanence, pour des contusions après un accident. 
Ces cas ne sont pas isolés. Au contraire. De nombreux Genevois, qui ont suivi des soins dans différents établissements publics ou privés se disent à la fois fâchés et décontenancés face à des factures disproportionnées au regard des actes médicaux pratiqués.
Factures au scanner
De fait, en scannant le décompte des prestations – des dizaines de lignes – on note que les institutions médicales n’hésitent pas à faire payer très cher les interventions, les différents produits désinfectants ou encore le matériel médical. A titre d’exemple, on découvre que les pansements coûtent aux patients 7,20 francs + 3,10 francs pour un set, les gants stériles 9 francs ou encore les bandes de gaze élastiques 7,30 francs. L’usage du merfen et de la bétadine s’élève respectivement à 9,38 francs et 6,73 francs. Pourtant, ces produits sont bien meilleur marché dans le commerce pour ces faibles quantités.
La jungle des périodes
Mais ce n’est pas tout. De nombreuses consultations sont divisées en plusieurs périodes, l’occasion, là aussi, de facturer plusieurs fois: première période: 17,86 francs; dernière période: 8,94 francs. Autre découverte: «l’étude du dossier» est devisée à 17,85 francs, tout comme des «instructions dispensées au patient par le spécialiste pour lui apprendre à effectuer lui-même les mesures ou des soins»: 17,86 francs. Ce à quoi il faut également ajouter une «indemnité forfaitaire de dérangement en cas d’urgence»: 48 francs, ou encore un «petit examen par le spécialiste de premier recours»: 56 francs.
Résultat, certaines catégories de la population dépensent en moyenne 14% de leur revenu en cotisations, alors que cette proportion était de 9% en 2007, relevait récemment la RTS.
Tarifs uniformisés?
Et pourtant, pour établir leurs factures, les médecins respectent un tarif uniformisé, baptisé le TARMED, négocié directement par les partenaires, rappelle la Fédération des médecins suisses (FMH). Objectif? «Une rémunération correcte et adéquate des prestations médicales. Avec plus de 4600 positions, ce tarif comprend la quasi-totalité des prestations médicales et paramédicales fournies au cabinet et dans le domaine hospitalier ambulatoire. Les autres tarifs sollicités par les médecins sont des tarifs officiels élaborés par l’Office fédéral de la santé publique», précise la FMH. Que disent les acteurs médicaux?  D’après le groupe Hirslanden à Genève (cliniques de la Colline et des Grangettes), les tarifs auraient plutôt diminué ces dernières années, notamment en raison de la pression exercée par des caisses maladie. «Pour le surplus, il faut savoir que l’assurance obligatoire de soin est régie par la loi (LaMAL, LAA). L’ensemble des établissements de santé est soumis à la loi applicable en la matière et ne dispose d’aucune marge de manœuvre. L’assurance complémentaire dépend des conventions passées avec les assurances. Celles-ci évoluent régulièrement et sont renégociées à chaque échéance»,  explique Lucienne Spoorenberg, responsable communication et marketing pour le groupe à Genève . 
Système tarifaire 
Concernant la tarification des séjours hospitaliers en urgence et électifs, l’institution informe qu’elle est appliquée pour les patients avec une assurance de base selon le catalogue SwissDRG (système tarifaire) et pour ceux qui ont contracté une complémentaire selon les conventions. Soit. Mais des contrôles sont-ils effectués quant aux bonnes pratiques des médecins? «Les honoraires sont négociés entre les médecins indépendants et les assureurs. La clinique n’intervient pas. Ils se doivent d’être justes et raisonnables», répond la représentante d’Hirslanden, sans préciser si un véritable organisme de contrôle existe.
Du côté de l’Association des médecins du canton de Genève (AMGe), on se montre concerné par cette problématique. Pour son président, Michel Matter, qui rappelle que la grande majorité des médecins sont honnêtes, ceux qui sont responsables d’abus n’ont rien à faire dans cette profession. «Clairement, si un médecin commet une faute, nous pouvons prononcer des sanctions ou une exclusion de notre association en cas de faute grave. Pour le reste, les décisions reviennent aux autorités». Pour les tarifs, l’AMGe dit se réjouir de l’arrivée de nouvelles grilles, dès 2026, baptisées le TARDOC. «C’est une excellente nouvelle. Ces nouveaux tarifs vont beaucoup simplifier les choses, en passant d’environ 5000 positions à 2000», insiste Michel Matter.
Concernant nos exemples, l’association rappelle que toute facture doit être justifiable. «Les médecins doivent pouvoir expliquer le détail. Ils sont tenus de rendre des comptes et ne pas émettre de facture hors-norme. Ensuite, c’est l’assureur qui pose des questions, notamment si des éléments lui paraissent étranges», assure le président. Du côté du patient, Michel Matter recommande de demander le détail de la facture et d’en discuter avec son médecin. Autre possibilité: s’adresser directement à l’AMGe, qui peut procéder à des vérifications. Enfin, il est possible de solliciter la commission de surveillance des professionnels de la santé qui, en cas d’abus, peut également agir.

 

«L’ambulatoire échappe à l’Etat»

Interrogées, les autorités rappellent que la responsabilité de facturer correctement incombe à chaque fournisseur de prestation. «L'ensemble du secteur ambulatoire échappe à l'Etat qui n'a ni les prérogatives légales ni les moyens de contrôler la facturation y relative», explique Sophie Davaris, secrétaire générale adjointe pour le Département de la santé. Si le contrôle pour cette catégorie appartient aux assureurs, le Département rappelle que les soupçons de surfacturation peuvent être signalés aux autorités ou aux assureurs. «Des cas de facturation non conforme peuvent également être constatés lors d’inspections régulières des institutions de santé et des lieux de pratique des professionnels indépendants», ajoute Sophie Davaris. En cas de problème, plusieurs mesures peuvent être prises. Elles dépendent de la gravité de l’acte en question: «L'autorité cantonale dispose d'un arsenal légal, allant d'un avertissement jusqu'au retrait définitif de l'admission à charge de l'assurance de base pour toute ou une partie de l'activité du fournisseur. Toutefois, pour appliquer ces mesures, il faut que l'autorité soit avertie, ce qui n'est pas possible aujourd'hui, en raison de la législation fédérale.» Enfin, côté tarifs, les autorités rappellent que ceux appliqués aux soins ambulatoires (TARMED) sont uniques et donc les mêmes partout en Suisse, dans le privé et dans le public. «La tarification résulte des négociations portées au niveau fédéral et cantonal entre fournisseurs de prestations et assureurs. L'Etat n'a pas de marge de manœuvre sur ce sujet», conclut la secrétaire générale adjointe.

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