Plainpalais: les francs-maçons genevois entrouvrent leurs portes

Rédigé par
Miguel Da Silva Rodrigues
Genève

 Les chefs de file de loges implantées à Genève affirment que le secret maçonnique est un mythe. En quête de nouveaux adeptes, les confréries, e jouent la carte de l’ouverture. Plongée dans le monde de la franc-maçonnerie genevoise.

Quand on pénètre dans leur temple, on ne se dit pas qu’on vient d’arriver chez les maîtres du monde. C’est que ledit sanctuaire est précédé d’une salle qui pourrait ressembler à une cantine d’association; de longues tables, une cuisine, quelques photos accrochées au mur… C’est dans un local à Plainpalais que nous rencontrons Christophe Ravel, Grand Maître du Grand Orient de Suisse, Jacques Herman, membre de la Loge du Labyrinthe, et un troisième franc-maçon, que nous nommerons par son titre car il souhaite rester anonyme, le Vénérable Maître de la Loge Mozart et Voltaire. Derrière ces titres honorifiques, trois messieurs qui ressemblent à trois vieux copains.
Bienvenue aux profanes
Un profane, c’est-à-dire celui qui n’est pas maçon, n’a normalement pas le droit d’entrer dans le temple. «Nous n’avons rien à cacher», précise toutefois d’emblée Christophe Ravel, qui aborde très vite la question du fameux secret maçonnique. «Il n’y a pas de secret, c’est un mythe. Nous sommes discrets, c’est une nuance.» Pour quelle raison? «Nous chérissons le calme et l’introspection. Le seul secret, c’est celui de notre intimité, notre cheminement personnel.»
Si les maçons communiquent volontiers sur leurs activités aujourd’hui, c’est aussi dans le but avoué d’attirer de nouvelles personnes compatibles. Car l’objectif des maçons est simple selon Christophe Ravel: «S’améliorer, grandir par la réflexion et apporter tous ces bienfaits à la société». La fraternité reste une des valeurs cardinales en maçonnerie. Et les loges sont mixtes, masculines ou féminines.
«Il faut que cela reste ainsi»
Pascale Splawski est entrée en maçonnerie il y a un peu plus de 22 ans. Aujourd’hui, elle est la Grande Maîtresse de la Grande Loge Féminine de Suisse. Un poste à responsabilité, comme celui de son homologue masculin, qui l’oblige notamment à représenter son obédience lors des assemblées générales de francs-maçons, les « convents», ou les réunions internationales. Quelle différence entre une loge féminine et une loge masculine? «Les loges féminines prisent davantage la symbolique. Selon les obédiences, les loges masculines éprouvent parfois un peu plus d’intérêt pour les sujets de société»,  souligne-t-elle. Son choix s’est porté vers une loge exclusivement féminine: «La vie profane se fait toujours dans la mixité. J’avais envie de trouver un espace où je serais uniquement entourée de femmes. Et il faut que cela reste ainsi.»
Les maçonnes n’ont pas de rites différents, mais abordent plus volontiers des questions liées au féminisme au cours de leurs réunions (tenues). «Nous jouissons de beaucoup d’indépendance, d’autonomie, et cela permet de se libérer de certains carcans. Comme les archétypes de notre société patriarcale.» Elle insiste sur le non-jugement qui règne dans la maçonnerie en général, et les loges féminines en particulier. «Aucun homme ne nous gère, nous nous gérons, et nous mettons en place un cadre qui favorise une grande liberté de parole, plus personnelle, plus intime.» Une intimité qui s’exprime principalement dans le temple, à l’abri du regard des profanes.
La symbolique maçonnique
A Plainpalais, si la salle d’accueil ressemble à un local associatif, le temple est beaucoup plus caractéristique. Voûte étoilée, damier au sol, équerre et compas qui ornent les murs. Et puis, tout un lexique entoure la maçonnerie. Deux bancs que l’on nomme des «colonnes» se font face. Des épées sont plantées dans leur dossier. Plus loin, trône un présentoir devant lequel, le Vénérable Maître prend la parole durant les «tenues». 
L’heure du rite
Lors de ces séances, on assiste parfois à une planche: autrement dit l’exposé d’un «frère» venu parler d’un thème qu’il a exploré. Et c’est là aussi que les «fidèles» se rejoignent pour effectuer leurs rites. «La symbolique est centrale pour nous», expliquent les trois maçons. «Ce sont des allégories qui nous ouvrent les portes de la réflexion», ajoute Jacques Herman. «Ces figures peuvent intriguer les non-initiés, leur faire penser qu’il y a des secrets insondables. Comme l’équerre, le compas, ou la roche brute et la roche polie, qui figurent l’effort que nous faisons afin de nous construire et de faire grandir notre personne.» Ces symboles permettent aussi de reconnaître un frère dans le monde profane. «Je ne vais pas dévoiler dans le détail nos méthodes pour éviter des abus ou des moqueries.» C’est ainsi que le Grand Maître, de passage au Congo, a reconnu un frère. «Toute une chaîne s’est activée et très vite j’étais invité à dîner ici ou là, c’était très chaleureux», raconte-t-il.
Un moyen de réseauter?
La maçonnerie n’est-elle pas un canal qui permet de réseauter et d’obtenir ainsi des avantages? «Ce n’est pas la mission de la franc-maçonnerie, mais comme dans un club de football ou une association, si un membre peut en aider un autre, il n’y a aucune raison de ne pas le faire.»
On ressort de ce temple avec le sentiment d’avoir rencontré des gens à la fois soucieux de lever un pan du voile et prompts à défendre leur «paroisse».  Les maçons et maçonnes sont autour de nous. Nous les croisons tous les jours sans le savoir. 

La franc-maçonnerie en chiffres 

On estime qu’il y a entre 10’000 et 15’000 francs-maçons en Suisse aujourd’hui, répartis dans une cinquantaine de loges. Les hommes restent largement majoritaires, même si on observe une augmentation du nombre de franc-maçonnes. Les loges se regroupent dans des structures: les obédiences. Chacune d’entre elles a ses propres rites et traditions. Il existe une dizaine d’obédiences en Suisse, dont les principales sont la Grande Loge Suisse Alpina (GLSA) et la Grande Loge féminine de Suisse. 

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