JUSTICE • Un homme d’une cinquantaine d’années a comparu la semaine dernière devant le tribunal correctionnel pour avoir, entre autres, enlevé ses enfants à deux reprises en 2022 et forcé un barrage de police en 2024.
A l’issue du procès, il a été condamné à cinq ans et demi de prison. Cheveux courts, lunettes sur le nez et blazer gris foncé, le prévenu écoute attentivement. Il prend des notes dans un petit carnet et s’exprime avec aisance devant les juges. «Ma thérapie actuelle est constructive. J’assume pour le moins certains comportements maladroits pour lesquels je suis ici.» Mais le ton monte rapidement avec le procureur. «Lorsque je ne me conforme pas à l’avis de mes interlocuteurs, on essaie de me faire passer pour quelqu’un de dysfonctionnel.» Interrogé sur ce point, il s’agace et se ferme: «Je ne tomberai pas dans le piège de cette question et je refuse d’y répondre».
Parmi les épisodes les plus marquants du dossier figure la course-poursuite du 13 août 2024. Ce jour-là, le prévenu, visé par un mandat d’arrêt, est repéré par la police. Une poursuite s’engage entre l’aéroport et Perly. Deux agents ont failli être percutés dans cette course folle. «J’ai l’impression d’être passé à deux doigts de la mort», témoigne l’un d’eux. «Je conteste qu’on m’ait intimé l’ordre de m’arrêter», tonne le prévenu. Il va même plus loin en clamant que ce sont les policiers qui ont tenté de le percuter. Face à lui, le procureur Pierre Bayenet tente de comprendre ses motivations: «Avez-vous un certain goût pour la vitesse?». Ce à quoi le quinquagénaire répond sans détour: «Je ne réponds pas à ce genre de question. J’étais paniqué, j’avais peur pour ma vie, j’essayais de me sortir de cette situation.»
La peur persiste
La mère des enfants, présente à l’audience, témoigne avec retenue. Sa voix est calme, mais chargée d’émotion. «La situation des enfants évolue positivement. Ils ont repris le chemin de l’école et ça s’est bien passé.» Malgré ces progrès, la crainte demeure. «J’ai peur lorsque je l’entends parler aujourd’hui. J’ai l’impression que sa façon de penser me concernant n’a pas vraiment évolué.» Elle évoque aussi son nouveau départ. «J’ai eu l’opportunité d’acheter à la campagne, je voulais offrir un autre cadre de vie à mes enfants.»
Le lendemain, un policier auteur du rapport sur la course-poursuite est entendu. Puis vient le réquisitoire du procureur Bayenet, qui s’appuie sur l’expertise psychiatrique versée au dossier: «Nous pouvons de fait parler de fonctionnement paranoïaque». Pour le Ministère public, «la douleur de ce père dysfonctionnel est réelle», mais il insiste également sur «la déshumanisation des enfants, réduits à l’état d’objets ou de monnaie d’échange par leur papa». Concernant la course-poursuite, il souligne que ses réflexes de conduite sont excellents et c’est plutôt à sa décharge, car il avait conscience des risques qu’il prenait. Il a accepté par ses deux manœuvres dangereuses de tuer des policiers.» L’avocate d’un des agents, Me Pauline Schott, abonde dans ce sens: «C’est un miracle que personne n’ait trouvé la mort ce jour-là».
Pour Me Laura Santonino, avocate de la mère, la responsabilité de l’accusé ne fait aucun doute. «Aujourd’hui, c’est le seul et unique responsable de cette situation. Les enfants et la mère ont subi la traque et le harcèlement de cet homme. Son jusqu’au-boutisme fait peur.» Elle revient sur les faits du second enlèvement: le calvaire de ma cliente a duré 36 heures, elle ne savait pas ce qui était arrivé à ses enfants. On pouvait objectivement craindre le pire à ce moment-là. Cet enlèvement a été planifié, il n’a pas été fait sur un coup de tête.»
Course-poursuite
Face à ces accusations, l'avocat de la défense, Me Nicolas Meier, décrit un père désemparé, mû avant tout par l’amour de ses enfants. «S’il y a une chose pour laquelle tout le monde doit s’accorder, c’est qu’il aime plus que tout ses gamins.» S’appuyant sur un rapport psychiatrique, il précise: «Ce n’est pas quelqu’un de pervers ou de machiavélique. Il souffre énormément et il est de bonne foi.» Concernant le drone utilisé pour surveiller ses enfants, il explique qu’il s’agissait «du dernier recours d’un papa qui veut voir à quoi ressemble l’école de sa fille». Selon Me Meier, son client a agi dans un état de nécessité: «Il pensait protéger et mettre ses enfants à l’abri face à leur détresse psychologique». Dans ses ultimes déclarations, le prévenu fond en larmes: «Je n’ai jamais voulu faire de mal à qui que ce soit. Je pense à mes enfants en permanence.»
Dans l'épisode de la course-poursuite avec la police, les juges écartent la tentative de meurtre par dol éventuel au profit de la mise danger de la vie d'autrui. Le père est également reconnu coupable d’enlèvement à l'encontre de ses enfants et de plusieurs autres infractions. Le tribunal fixe la peine à cinq ans et six mois de prison ferme, retenant une responsabilité atténuée en raison de troubles de la personnalité. Les magistrats se montrent ainsi plus sévères que le procureur, qui réclamait quatre ans et demi.
L’homme devra en outre suivre un traitement ambulatoire et indemniser les victimes, à savoir les policiers, son ex-compagne et ses enfants. S'ajoutent également une peine pécuniaire de 50 jours-amende à 30 francs et une amende de 3000 francs ainsi que les frais de procédure. Les avocats de la défense ont d’ores et déjà annoncé leur intention de faire appel.