MÉDIAS • La télé que les Genevois considèrent comme la leur est-elle en train de quitter la cité de Calvin pour des cieux vaudois? Si la rédaction centrale des actualités va bel et bien rejoindre les nouveaux locaux situés sur le site de l’EPFL, une cellule régionale va demeurer à Genève. De quoi rassurer ceux qui ne souhaitent pas que la ville internationale se «provincialise»? Interview de Pascal Crittin, directeur de la RTS.
GHI: Le département des actualités va quitter Genève pour votre site à l’EPFL l’an prochain. Ne pensez-vous pas que les Genevois vont se sentir dépossédés de «leur télévision»? Genève ne risque-t-elle pas de se sentir déclassée en dépit de son statut de ville internationale?
Pascal Crittin: La télévision ne se résume pas au téléjournal. En plus des développements que nous allons lancer à Genève dans la création numérique, 800 personnes, affectées aux magazines, aux émissions sportives, à la fiction, aux documentaires et aux archives vont continuer à travailler au sein de la tour. Si la rédaction centrale de l’actualité va en effet s’installer à Lausanne, la rédaction régionale reste au quai Ernest-Ansermet. Car ce qui est important, je crois, c’est que l’on traite l’actualité genevoise pertinente pour toute la Suisse romande et que l’on conserve le regard genevois sur l’actualité, sans oublier la Genève internationale.
Le public genevois s’estime peu servi en termes d’informations genevoises. Que leur dites-vous?
Je peux entendre ce ressenti, mais les statistiques le démentent. La moitié des sujets diffusés concernent les cantons de Genève et Vaud, le reste couvre les autres cantons romands. En tant que média suprarégional complémentaire à Léman Bleu, nous avons la volonté de refléter en même temps l’identité romande et les diversités cantonales.
La tour, qui abrite déjà des entreprises non liées aux médias, va-t-elle à court terme accueillir d’autres locataires?
Aujourd’hui, sur les 17 étages de la tour, seuls deux sont occupés par une entreprise privée. Pour le reste, il s’agit d’activités de la RTS ou liées à la SSR. En outre, nous avons vendu la Salle Ansermet qui abrite une école de musique. A l’avenir, notre objectif est de nous regrouper dans et autour de la tour, pour des raisons d’efficience, et pourquoi pas développer un pôle d’activités avec le Canton et la Ville.
Le conseiller d’Etat Antonio Hodgers n’avait pas vu d’un très bon œil la présence d’une entreprise sans lien avec la presse dans vos locaux du quai Ernest-Ansermet. L’incident est-il clos?
En tout état de cause, il n’y a pas eu de suite. Il faut souligner qu’en réduisant nos surfaces, nous réalisons des économies substantielles et cela nous permet de préserver nos programmes.
Vous avez dû procéder à des coupes claires: soit la suppression de 50 postes (19 licenciements) ainsi que de plusieurs émissions. Avez-vous les moyens de lutter contre cette érosion publicitaire qui affecte certes tous les médias?
C’est au monde politique de protéger la place médiatique suisse et de lutter contre les géants mondiaux Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft (GAFAM), qui se sont emparés du gâteau publicitaire sans presque rien produire en Suisse. Grâce à la loi sur le cinéma acceptée par le peuple, les fenêtres publicitaires étrangères et les plateformes de streaming comme Netflix devront réinvestir 4% de leur chiffre d’affaires dans la production en Suisse. C’est une bonne chose, mais des miettes par rapport aux centaines de millions qu’elles engrangent! Il est singulier que le monde politique ne soit pas plus offensif à l’égard des géants technologiques, tandis que les médias suisses s’appauvrissent.
Certains téléspectateurs estiment que la RTS ne diffuse que très peu d’informations exclusives. Que répondez-vous?
Je ne suis pas d’accord avec cela. Depuis le début de l’année, nous avons déjà sorti une quarantaine d’informations exclusives. Notamment, concernant Genève, les policiers mis en prévention à la suite de nos révélations du viol présumé sur une prostituée par un agent en congé. Ou encore la double vie de l’Abbé Pierre à Genève.
Le Conseil fédéral a programmé une baisse de la redevance qui passera de 335 à 300 francs si l'initiative «200 francs, ça suffit» est rejetée par le peuple en 2026. Que répondez-vous à ceux qui pensent que vous avez longtemps profité d’une importante manne?
L’initiative couperait 50% du budget de la SSR, l’équivalent de deux fois le budget de la RTS ! Avec une telle amputation de nos moyens, nous devrions réduire massivement nos infrastructures et renoncer aux studios aménagés dans les différentes régions pour n’en garder qu’un seul principal. Et je crains qu’il soit à Zurich. La Suisse romande et la Suisse italienne seraient les grandes perdantes en cas d’acceptation de l’initiative «200 francs».
L’audiovisuel traditionnel est en perte de vitesse, quelles sont les possibilités de développement?
Nous ne sommes plus seulement une radio et une télévision. Notre activité s’est depuis plusieurs années orientée vers la production de contenus diffusés sur le numérique. En fait, nous nous adaptons au changement d’habitudes du public.