La régie leur laisse 
six mois pour partir

Rédigé par
Tadeusz Roth
Genève

Un simple courrier reçu apparaît comme un coup de massue pour des habitants de la route de Meyrin, dont certains vivent dans l’immeuble depuis des décennies. Le propriétaire évoque des travaux ne permettant pas de maintenir les habitants sur les lieux. 

«On nous chasse comme des malpropres. Alors que nous vivons ici depuis des années, on reçoit une simple lettre nous demandant de partir dans quelques mois. Nous sommes désespérés», témoigne un habitant du 4 route de Meyrin. «Comment trouver un logement en si peu de temps? J’ai peur pour la suite», abonde une voisine.
La raison de ce désespoir? Une lettre de la régie Naef, qui gère les lieux, annonçant aux locataires la résiliation de leur bail d’ici au 31 janvier 2026. Une communication au vocabulaire administratif qui exaspère les locataires. «On a le sentiment d’être traité comme des objets, qu’on peut déplacer à sa guise. C’est inhumain», considère une des locataires expulsées. 
Travaux de rénovation 
Pour motiver sa décision, la régie invoque des travaux de rénovation décidés par la bailleresse sur l’ensemble du groupe d’immeubles situés au 1 rue Hoffman ainsi qu’aux 4, 6 et 8 route de Meyrin. De quoi provoquer l’incompréhension des locataires. «On met tout un immeuble à la porte pour une cage d’escalier impraticable? Ne pouvait-on pas réaliser un accès alternatif temporaire? Ou alors effectuer les travaux de manière échelonnée, de sorte à reloger une partie des habitants pendant le chantier? Ils font peut-être cela pour augmenter les loyers, avec de nouveaux locataires après les travaux», redoute un habitant.
La régie assure toutefois se tenir à disposition des locataires pour les assister dans leurs recherches d’un appartement, promettant que les dossiers seraient traités prioritairement. Naef informe également avoir mandaté une société de consulting pour guider et accompagner ceux qui en besoin. 
Résiliation des baux 
Contactée, la régie Naef nous renvoie vers le propriétaire, à l’origine de la planification et de la rénovation. C’est donc la caisse de pension zurichoise BVK qui nous répond directement. «Lorsque les contraintes techniques se révèlent trop importantes pour que les travaux soient réalisés en site habité, nous sommes contraints de procéder à la résiliation des baux de durée indéterminée pour leurs prochaines échéances, et en respect du préavis légal», explique BVK.
Toutefois, pour ses immeubles existants revêtant une «certaine ancienneté», la BVK affirme examiner s’il est possible de préserver la «substance» du bâtiment. «Si des rénovations sont inévitables, nous analysons si celles-ci peuvent être réalisées moyennant le maintien des locataires dans leurs logements. S'il existe des potentiels de densification importants en raison de l'évolution de l'urbanisme et du droit de la construction, nous profitons de ces possibilités pour la création de nouveaux logements, en particulier dans les espaces urbains», se justifie le propriétaire. 
Et pour les immeubles à la route de Meyrin, datant de la fin des années 50? «Ceux-ci présentent une certaine vétusté et nécessitent impérativement une mise aux normes pour la sécurité des habitants. Dans le cadre du projet concerné, et après une longue étude de différentes alternatives par les architectes mandatés par la BVK, il s’est avéré nécessaire de procéder à un renforcement sismique des bâtiments, au niveau des cages d’escaliers, travaux qui sont incompatibles avec le maintien des locataires dans leurs logements. En effet, tous les murs des appartements donnant sur la cage d’escaliers de chaque immeuble seront démolis puis reconstruits avec un renforcement de leurs structures, pour que l’immeuble soit conforme aux normes sismiques actuelles. L’accès à la cage d’escaliers pendant le chantier sera donc impossible, tout comme le maintien des locataires dans leurs appartements. Pour le surplus, les travaux impliqueront notamment le changement des colonnes d’eau de pluie et eaux usées, le changement des fenêtres, la réfection des façades, la réfection des cuisines ainsi que la réfection des salles de bains».  
Libération complète nécessaire? 
Mais pourquoi ne pas reloger temporairement les locataires? «La libération complète des appartements sera nécessaire à partir du début du chantier de rénovation de l’immeuble concerné, de sorte qu’un retour dans le même logement, après travaux, ne peut pas être accordé», répond le service communication. 
Et pourtant. BVK ajoute que «la possibilité d’un retour pour certains locataires est analysée au cas par cas et uniquement à leur demande. Le chantier se déroulera en plusieurs phases et successivement dans les différentes allées du groupe d’immeubles. Les demandes de relogement seront examinées avec soin».
Pas de quoi rassurer les locataires en colère, qui pointent un discours contradictoire, voir clientéliste. «Donc on doit tous partir, sans possibilité de revenir dans notre logement. Mais certains pourront tout de même revenir? Au cas par cas, ça veut dire à la tête du client?», s’emporte un habitant, bien décidé à s’opposer à la résiliation du bail. 
Consternation 
Du côté de l’Asloca, qui défend les intérêts des locataires, c’est la consternation. Notamment au regard de la nature des travaux. «Dans ce genre de cas, cela peut arriver que le locataire doive quitter son logement temporairement. Mais rarement plus de deux semaines sont nécessaires. Le principe consiste à maintenir les locataires autant que possible dans leurs logements. Mais ici, une résiliation du bail paraît disproportionnée. Le bailleur cherche manifestement autre chose», estime Christian Dandrès, juriste pour l’association et conseiller national. 
Plus largement, l’Asloca rappelle qu’une planification du chantier peut facilement être mise en place, notamment pour une importante régie comme Naef. «C’est d’autant plus étonnant que de nombreuses régies genevoises le font. C’est par exemple le cas pour des immeubles à Thônex, où des rocades ont pu être effectuées. Pendant que les WC étaient inutilisables, des toilettes chimiques ont été installées pour quelques jours. Ce n’est pas le confort, mais c’est mieux que de perdre son logement!», rappelle Christian Dandrès. 
Le juriste redoute également une décision de la propriétaire motivée par le profit. «Alors que des solutions existent, les propriétaires décident de virer les locataires. Pour eux, c’est un énorme avantage, puisqu’ils ont l’assurance de trouver un nouveau locataire après les travaux qui pourra payer beaucoup plus cher.»
Contester
Pourtant, tout n’est pas perdu pour les habitants chassés. Parmi les options, contester la résiliation. «Il est par exemple possible d’obtenir une prolongation du bail, dont la durée maximale est de quatre ans. En général, on est plutôt sur deux ans. Une durée qui offre aux locataires le temps de rebondir.» Seule contrainte? «Ne pas tarder, car l’opposition doit être faite dans les 30 jours. C’est court», prévient Christian Dandrès. Qui invite les locataires touchés par ce type de résiliation à prendre contact avec l’Asloca pour être défendus.  
Enfin, le juriste pointe la responsabilité du propriétaire, en l’occurrence la caisse de pension zurichoise BVK, fière d’être «la plus grande caisse» de pension du pays. «On ne peut que s’étonner que des institutions de cette taille et de cette nature aient si peu de considération pour leurs locataires. L’Asloca milite en faveur d’une meilleure protection des locataires, notamment sur le plan législatif, pour éviter ce type de problème.

En savoir plus