
Précarité • Fondée en 2005 par cinq organisations engagées – l’Armée du Salut, le C.A.R.E., Caritas Genève, les Colis du Cœur et Emmaüs – Partage est aujourd’hui une fondation. Un choix mû par la nécessité de pérenniser son financement et donc sa mission. Rencontre avec Marc Nobs directeur de la banque alimentaire, qui mettra fin à ses fonctions en juillet.
GHI: Vous avez été nommé à Partage il y a 13 ans. En plus d’une décennie, les besoins des associations de terrain qui redistribuent la nourriture ont-ils augmenté? Avez-vous des chiffres?
Marc Nobs: Oui absolument, les besoins ont augmenté, et ce particulièrement dès 2020 avec l’arrivée du Covid et la crise sociale et économique qui en a résulté. Par exemple, en 2016 on comptabilisait en moyenne 9800 bénéficiaires par semaine, alors qu’en 2024 nous comptabilisions 15'400 personnes par semaine en moyenne nécessitant une aide alimentaire. On a constaté de facto des besoins de plus en plus en importants de la part de nos institutions de terrain. On essaie également de fournir une aide alimentaire plus adaptée aux besoins des personnes nécessiteuses.
Quels sont les profils des personnes? Travailleurs pauvres? Personnes au chômage ou à l’AVS? Etudiants?
Nous fournissons 50 institutions de terrain, qui elles-mêmes s’adressent à des typologies de personnes très différentes: ADAGE qui vient en soutien aux personnes âgées, la FARCE dédiée aux étudiants. Il est donc difficile de catégoriser les personnes en situation de précarité dans une même typologie de personnes. Plusieurs facteurs peuvent mener à des situations de vulnérabilité. Certaines femmes avec ou sans enfants se retrouvent sans ressources ou avec des revenus très bas. Parfois elles ont été victimes de violences, sans abri ou marginalisées ou avec un emploi précaire. Dans d’autres cas, la situation résulte d’un sous-emploi, d’un travail à temps partiel avec charge de famille, ou sur appel. Enfin, ceux qui nécessitent une aide alimentaire ne perçoivent qu’un minimum vital établi par les systèmes d'assurances sociales ou l'aide sociale. Ce qui ne permet pas de couvrir réellement les besoins vitaux. L es sommes allouées ne suffisent en effet pas compte tenu de l’inflation, du prix des aliments. Des seniors sont aussi concernés, leurs rentes sont trop basses et ils ne recourent pas, pour maintes raisons dont la crainte d’être un poids pour la collectivité, aux prestations complémentaires. Enfin, les bénéficiaires de Partage sont aussi des personnes qui sont en dehors des barèmes de l'aide sociale ou des assurances sociales, sans statut légal ou encore titulaires du permis F et dans ce cas l’aide sociale mensuelle est de 451 francs.
Comment expliquez-vous cette accélération du nombre de personnes démunies?
On peut identifier certaines causes depuis 2020, telles que le Covid et ses conséquences sociales et économiques, la guerre en Ukraine et l’augmentation des assurances maladie, des loyers et des produits alimentaires. Ce sont des variables qui pèsent dans le budget des ménages. Dès lors, davantage de personnes et familles ont besoin d’un coup de pouce pour boucler leurs fins de mois.
Combien de tonnes de denrées arrivent à la Fondation? Qui vous transmet les produits alimentaires?
Nous avons plusieurs sources d’approvisionnement. Les récoltes quotidiennes d’invendus dans les enseignes du canton, où nos équipes se rendent chaque jour. Ces produits sont triés et soit redistribués directement, soit transformés pour prolonger leur durée de vie puis transmis à nos associations partenaires de terrain. En 2024, nous avons récolté 285 tonnes d’aliments. Mais depuis 2020, nous achetons également des produits de première nécessité (2800 tonnes en 2024). Il faut savoir que nos «Samedi du Partage» bisannuels nous ont permis de récolter 377 tonnes de marchandises. Nous recevons en outre ponctuellement des dons de la part de structures actives dans l’alimentaire pour environ 200 tonnes.
Avez-vous beaucoup de donateurs ?
Nous avons la chance d’avoir des soutiens et des partenariats avec diverses structures. Nous bénéficions de donations en nature et financières. Toutefois, au vu de l’augmentation des besoins ainsi que de la population précarisée, Partage continue sans relâche à rechercher de nouveaux mécènes.
Quels sont les domaines qui ont évolué au cours de votre fonction? Lutte contre certains gaspillages?
Partage continue de se professionnaliser de manière générale dans l’ensemble de ses activités de lutte contre le gaspillage, de réinsertion professionnelle et d’aide alimentaire. D’ailleurs, nos ateliers de valorisation optimisent l’anti-gaspillage. C’est notamment le cas s’agissant de la récupération des articles dont la date de durabilité minimale est dépassée mais ne présentant pas de risques pour la santé. Par ailleurs, dans le cadre de notre mission de réinsertion professionnelle, la formation se renforce, ainsi que l’accompagnement social afin de lever les freins à l’employabilité (surendettement, frais médicaux, etc.). Partage est en outre depuis l’année dernière également formatrice d’apprentis dans les domaines de la logistique, en transformation alimentaire et dans l’administratif.