PRÉCARITÉ • En dix ans, le nombre de jeunes, bénéficiant de l’aide sociale, a presque doublé. La faute notamment au décrochage scolaire. Les services publics se mobilisent.
«Les études, ce n’était pas pour moi. Après l’école obligatoire, j’ai fait des stages dans plusieurs entreprises. Et lorsque j’ai demandé si je pourrais être engagée plus tard, on m’a fait comprendre que les places étaient rares. Alors j’ai fini par renoncer. De toute façon d’aussi loin que je me souvienne, ma famille m’a toujours dit que je n’étais bonne à rien.» C’est Jennifer, 18 ans qui parle. Sans ressource, la jeune fille a été prise en charge par l’Hospice général.
Et elle n’est pas la seule. En dix ans, le nombre de jeunes âgés de 18 à 25 ans dépendants de l’aide sociale a presque doublé. Alors qu’il était de 1428 en 2014, il s’élève cette année à 2322.
Décrochage
Une forte hausse qui s’explique par de nombreux facteurs, parmi lesquels l’accélération du décrochage scolaire ou en cours de formation. En tout, 13% d’élèves ont ainsi interrompu leur cursus en 2024 alors qu’ils étaient 8% en 2016.
Mais ce n’est pas tout. A cette réalité s’ajoute une multitude d’autres causes, dont les atteintes à la santé psychique, les tensions et les violences subies ou encore les difficultés financières au sein de la famille. Comme le relève Yves Reymond, chef de service en charge des prestations spécialisées à l’Hospice général: «Sur 1800 jeunes, 180 cumulent tous les facteurs».
De quoi inquiéter la députée PLR Natacha Buffet-Desfayes, membre de la commission sociale du Grand Conseil (notre édition du 5 juin). D’après elle, les raisons de cette augmentation sont également à chercher du côté de l’actualité, particulièrement anxiogène: «Pour les plus fragiles, la situation laisse à penser qu’ils n’ont pas d’avenir. Et le fait de leur répéter sans cesse qu’ils vont mal produit un effet délétère sur eux. Avant toute chose, l’essentiel est de changer le message qui leur est adressé. Il faut leur redonner confiance en eux et les porter.»
Un avis que partage Véronique Kämpfen, directrice de la communication à la Fédération des entreprises romandes: «La sensibilisation doit non seulement cibler les jeunes mais aussi les enseignants et les parents qui sont des prescripteurs importants. Et puis, il faut encourager les entreprises à créer des places d’apprentissage.»
Eviter la reproduction sociale
Du côté de l’Hospice général, on estime que le défi majeur consiste d’abord à éviter la reproduction familiale. «Dans 43% des cas, les jeunes ont en effet des parents qui sont eux-mêmes à l’aide sociale. C’est pour cela qu’une orientation précoce est primordiale, sinon sans formation à leur majorité, ils vont se retrouver à la charge de leurs parents», détaille Yves Reymond. Or, ces derniers ne perçoivent les subsides de l’Etat que si leur enfant suit des études ou une formation. Dans le cas contraire, il est considéré comme un adulte indépendant. Et n’a d’autre choix que de recourir à son tour à l’aide sociale.
Une «prise en charge» avant la majorité, c’est aussi ce que préconise Natacha Buffet-Desfayes. «La réforme du Cycle d’orientation doit inclure une formation Out of the box. Les élèves doivent savoir dès leur plus jeune âge que la formation professionnelle est une superbe opportunité dans laquelle ils peuvent développer leurs compétences. Compétences qu’il s’agit d’identifier et de valoriser, plutôt que de chercher à faire de tous, des étudiants.»
Contacté, le Canton insiste lui aussi sur l’importance de suivre un cursus jusqu’à son terme. «70% des 18-25 ans au bénéfice de l’aide sociale n’ont pas de formation achevée au-delà du Cycle d'orientation», souligne le conseiller d'Etat chargé de la Cohésion sociale, Thierry Apothéloz. Pour tenter de changer la donne, son département a développé plusieurs programmes dont «Objectif Jeunes», lancé en 2022, qui propose une remobilisation innovante. «Il s’agit de renforcer la confiance en soi à travers le sport, l’art et la culture», détaille le magistrat. Résultat: 43% des jeunes ayant intégré ce dispositif ont débuté une formation. Le DCS souhaite lancer Jeunes Adultes en Formation et Actifs (JAFA), à partir d’octobre 2024. En plus d’une bourse de préformation, l’accompagnement assuré par des spécialistes sera intensif. «Mon objectif est que 100% des jeunes puissent avoir une perspective professionnelle», insiste Thierry Apothéloz.
Point jeunes
La réinsertion professionnelle est aussi au cœur de Point Jeunes. Ce service de l’Hospice général est composé d’assistants sociaux et d’éducateurs. Il propose un appui administratif et financier, et recouvre un centre d’information et de prévention. Le service de protection des mineurs, relevant du Département de l'instruction publique, de la formation et de la jeunesse (DIP) collabore régulièrement avec Point Jeunes pour faciliter et soutenir le passage à la majorité», relève à son tour Constance Chaix, chargée d'information et communication au DIP.
Enfin, le dispositif interinstitutionnel, Cap Formation, aide les jeunes en rupture à retrouver le chemin de la qualification grâce à des prestations adaptées à leurs besoins. Avec succès. 60% des 1890 jeunes affiliés ont repris une formation.