Le nombre d’hommes maltraités au sein du couple a augmenté en 2023. Une réalité invisibilisée par les statistiques alarmantes sur la violence conjugale dont les femmes sont victimes. Témoignages.
La violence subie par les hommes reste un sujet tabou même si les statistiques fédérales montrent une augmentation du phénomène en 2023. La faute au manque de prévention? Au silence souvent observé par les victimes? Faut-il aussi considérer que les cas d’agressions perpétrées contre les femmes, légitimement rendus publics ces dernières années, occulteraient les maltraitances masculines? Témoignages et expertises.
Une main glissée dans son pantalon pour lui saisir le sexe. C’est l’expérience vécue par Timothée*. Ce soir-là, il est en compagnie de ses amis et l’alcool coule à flots. «Sur le moment, j’ai été paralysé par la surprise. Cette femme que je connaissais à peine m’a plaqué contre un mur à l’abri des regards et a clairement dépassé les limites. Et moi, je n’ai pas su réagir. Alors j’ai pensé très fort à ma copine et j’ai finalement réussi à me dégager», confie le trentenaire, encore traumatisé par l’agression dont il a été victime. Mais ce n’est pas tout. Les deux confidents à qui il rapporte la scène, loin de le soutenir, se moquent de lui. «Un grand garçon comme toi, choqué par une main. Tu abuses!». Il ne trouve pas non plus de réconfort du côté de sa famille, qui voit en lui une personne suffisamment solide pour repousser des assauts. «Ça va, tu ne t’es pas fait violer. J’aurais aimé que cela m’arrive quand j’étais jeune», ironise son père. Timothée a finalement décidé de consulter un psychiatre.
Agressions physiques et morales
Stéphane*, un quadragénaire est victime de toutes sortes de violences. L’auteur n’est autre que sa femme, dont il partage l’existence depuis plusieurs années. «Lorsque nous nous disputons, elle me donne des coups de pied avec ses talons. Elle m’assène des gifles et me tire les cheveux. Et puis, elle me rabaisse en me disant que je suis moche et que je ne vaux rien. Elle m’humilie parfois en public. A chaque fois, ses excuses, qui surviennent après les tempêtes conjugales, me paraissent sincères. Mais à chaque désaccord, ça recommence.» Lui affirme n’avoir jamais répondu et s’être contenté d’inciter sa conjointe à faire une thérapie de couple. «Elle refuse et je ne peux pas l’y contraindre. Je l’aime, c’est pour ça que je ne la quitte pas», explique celui qui se considère comme un homme battu. Et comme dans le cas de Thimothée, Stéphane a rarement été pris au sérieux par son entourage. «Tout le monde minimise, arguant que j’exagère. Les gens à qui j’en parle estiment que les actes subis ne sont pas graves. Mais moi, c’est en train de me foutre en l’air», confie-t-il.
Une problématique complexe
Des histoires qui traduisent une réalité bien connue du Dr Emmanuel Escard, responsable adjoint à l’Unité interdisciplinaire de médecine et de prévention de la violence (UIMPV), aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Une unité accueillant toutes les victimes de violences, notamment les hommes, qui représentent environ 10% des cas. «C’est une problématique d’autant plus compliquée qu’il s’agit de distinguer les victimes des auteurs, et que les auteurs peuvent parfois également être victimes. En 2023, les hommes représentaient 6% des victimes de violences conjugales, 13% si on inclut les «victimes et auteurs», détaille le spécialiste. Il rappelle que les actes commis peuvent effectivement être d’ordre physique, mais également psychologique: harcèlement, dénigrement, insultes, infantilisation, excès de contrôle et jalousie.
Interrogé sur le caractère tabou des brutalités commises contre les hommes, Emmanuel Escard aquiesce: «Oui, malheureusement et cela persiste. Il faut savoir que de manière générale, les hommes consultent moins lorsqu’ils souffrent. On pense à tort que l’homme doit toujours aller bien, qu’il est fort, une tendance notamment très forte chez certaines populations issues de la migration. Et puis, une autre idée persiste, si on est victime de violences, c’est qu’on peut également être considéré comme responsable. C’est notamment lié au discours ambiant, qui laisse parfois entendre qu’un homme ne peut être que l’auteur. Les femmes, elles, seraient automatiquement dans la défense. Il faut prendre garde à ne pas invisibiliser cette problématique.»
Pour venir en aide aux victimes, l’UIMPV procède notamment à de nombreuses évaluations et prodigue des conseils médicaux. Elle propose aussi des suivis thérapeutiques et oriente vers d’autres réseaux, qu’ils soient psychologiques, sociaux ou judiciaires.
Sur un plan plus global, le médecin appelle à davantage sensibiliser le public. «La plupart des hommes victimes regrettent que l’essentiel des messages traitant de violences conjugales ne concerne que les femmes. Dans la même logique, l’aspect financier est également un problème, puisque les fonds alloués aux travaux concernant les violences vont plutôt aller uniquement du côté des violences faites aux femmes. Résultat: aujourd’hui, on manque de données scientifiques sur ces questions», déplore Emmanuel Escard.
Un constat partagé par le centre LAVI (Centre genevois de consultation pour victimes d’infractions), qui assure lui aussi qu’il est important de sensibiliser la population à travers des campagnes. Il est vrai que le centre est confronté à une hausse des cas ces dernières années. Sur les 361 situations de violences conjugales traitées en 2024, pas moins de 48 concernaient des hommes. Cela ne serait-il que la partie visible de l’iceberg? «Nous observons nous aussi une difficulté chez les hommes à oser appeler à l’aide. Cependant, notre prise en charge est identique. Les victimes, indépendamment du genre, sont notamment dirigées vers un avocat et/ou un psychologue en fonction de leurs besoins», informe encore le Centre.
* Personnes connues de la rédaction